
Retour sur les élections législatives en Moldavie
Introduction
En raison de sa situation géographique et de son histoire, la République de Moldavie joue un rôle clé pour l’Occident dans le soutien à l’Ukraine et dans sa stratégie vis‑à‑vis de la Russie. L’OTAN et l’UE suivent de très près la situation politique de ce petit pays d’Europe du Sud‑Est.
Il existe en réalité trois Moldavies : la République de Moldavie, la République de Transnistrie — qui a fait sécession dans les années 1990 après l’effondrement de l’Union soviétique et s’est depuis alignée sur la Russie — et tous les Moldaves vivant en dehors de ces deux États. Ces derniers représentent un tiers de la population totale de la Moldavie et exercent donc une influence considérable lors des élections.
Nous avons attiré l’attention sur la situation volatile en Moldavie et dans ses environs dès nos premiers articles, voir ici, ici et ici. Les élections de ces dernières années ont davantage exacerbé les tensions dans le pays qu’elles ne les ont apaisées.
Quelques données démographiques
Imaginez que vous soyez citoyen d’un pays comptant 3,6 millions d’habitants au total, dont 30 % vivent à l’étranger, soit 1,2 million de personnes. C’est la réalité de la République de Moldavie.
Actuellement, 2,4 millions de personnes vivent dans le pays lui-même, soit une baisse de 13,6 % par rapport à 2014. Pour donner une idée, cette diminution équivaudrait à environ 11 millions de personnes en moins pour l’Allemagne.
La Moldavie est divisée en 32 districts, trois villes indépendantes et l’Unité territoriale autonome de Gagaouzie. Depuis 2014, 28 régions administratives ont enregistré une baisse de population de plus de 20 %. Les déclins les plus marqués concernent notamment :
· Ocnita: -29.5%
· Leova: -29.2%
· Briceni: -28.7%
· Cantemir: -28.5%
D’un point de vue statistique, ces Moldaves ont quitté le pays pour s’installer ailleurs. La seule région ayant connu une croissance démographique depuis 2014 est la capitale, Chișinău, avec une hausse de 16,8 %.
Aux élections nationales, tous les électeurs résidant à l’étranger ont également le droit de vote. Dans le cas de la Moldavie, cela représente un facteur décisif lors des scrutins.
Selon les données du MIDEI — ministère moldave des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne — les 1,2 million de Moldaves vivant à l’étranger se répartissent ainsi :
Pays | Moldaves vivant à l'étranger en milliers |
Russie | 350 |
Italie | 250 |
France | 130 |
Allemagne | 100 |
USA | 60 |
Grande Bretagne | 42 |
Ukraine | 24 |
Roumanie | 19 |
362 |
Les citoyens étrangers d’un pays sont fortement influencés par les conditions de vie qu’ils y rencontrent, car ils ont consciemment choisi leur pays de résidence ou, dans certains cas, ont quitté leur pays d’origine dans des circonstances difficiles, parfois sans en avoir pleinement le choix.
C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer les actions du gouvernement moldave visant à organiser la participation des Moldaves de l’étranger aux élections. Conscient de ces réalités, le gouvernement moldave a pris les décisions organisationnelles appropriées.
Les élections sous Sandu
Depuis que Maia Sandu a remporté sa première présidence en 2020, aucune élection nationale ne s’est déroulée correctement et sans suspicion de manipulation. Cela concerne toutes les élections, y compris ses scrutins présidentiels de 2020 et, plus encore, ceux de 2024.
Sandu et son administration ont clairement accumulé une grande expérience au fil du temps, qu’ils ont visiblement et concrètement mise à profit lors des élections parlementaires du 28 septembre 2025, afin d’éviter toute surprise indésirable.
Le point de départ de toutes ces considérations était la crainte justifiée du parti au pouvoir, le PAS, de perdre sa majorité au parlement national. Le gouvernement a donc décidé d’orienter les résultats des votes de la diaspora dans le sens souhaité.
Cela a conduit à des décisions administratives strictes qui ont, en partie, transformé l’élection en une farce. Le résultat a non seulement réjoui Maia Sandu, mais a également trouvé l’écho escompté dans les médias occidentaux.
On peut citer à titre d’exemple le journal télévisé Tagesschau :

Le soulagement à Chişinău, Bruxelles et ailleurs était dû au fait que le parti PAS au pouvoir avait obtenu un total de 50,20 % des suffrages exprimés.
La manipulation évidente des élections législatives moldaves
En Moldavie même, le parti PAS de Sandu a obtenu le résultat global suivant :
Votes exprimés : 1 300 759
Dont pour le PAS : 44,13 %
Comme Sandu le soupçonnait, c'était donc à la diaspora de décider du résultat. Et elle n'a pas déçu. Examinons les chiffres :
Pays | Moldaves vivant à l'étranger en milliers | Nombre de bureaux de vote | Votes exprimés | Taux de participation en % | Résultat pour le PAS en % |
Russie | 350 | 2 | 4.109 | 1,2 | 11,66 |
Italie | 250 | 75 | 80.103 | 32,0 | 77,68 |
France | 130 | 26 | 25.488 | 19,6 | 76,94 |
Allemagne | 100 | 36 | 38.012 | 38,0 | 75,79 |
USA | 60 | 23 | 10.607 | 17,7 | 88,63 |
Grande Bretagne | 42 | 24 | 27.434 | 65,3 | 83,69 |
Ukraine | 24 | 2 | 612 | 2,6 | 78,76 |
Roumanie | 19 | 23 | 29.209 | 153,7 | 88,12 |
362 | 12 | 12.017 | 3,3 | 29,89 |
Les résultats électoraux indiqués dans le tableau sont tirés des résultats officiels publiés par la Commission électorale centrale.
Toute personne ayant un minimum de compréhension numérique et d’expérience de la vie remarquera facilement plusieurs anomalies difficiles à expliquer. Le mystère s’éclaire lorsqu’on considère les mesures prises par le gouvernement et la Commission électorale centrale. Voici une liste non exhaustive :
Le nombre de bureaux de vote dans les pays de la diaspora représentant la plus grande menace pour le gouvernement a été drastiquement réduit. Par exemple, pour la Russie, seulement deux bureaux de vote ont été ouverts à Moscou. De plus, seulement 10 000 bulletins de vote y étaient disponibles. Pourtant, de longues files d’attente se formaient devant ces bureaux. Il a donc fallu un effort administratif pour réduire la participation électorale à seulement 1,2 %.
Au total, 12 bureaux de vote ont été ouverts pour la Transnistrie, soit trois fois moins que lors des dernières élections présidentielles de l’automne 2024. Ces bureaux étaient tous situés en Moldavie et non en Transnistrie. De plus, la veille du scrutin, la commission électorale a annoncé que certains bureaux avaient été déplacés plus à l’intérieur du pays. Par ailleurs, d’importants travaux routiers ont soudainement débuté sur les routes menant aux bureaux de vote, rendant la circulation très difficile à contourner. Ceux qui parvenaient jusque-là avaient déjà franchi les postes de contrôle sur les ponts du Dniestr reliant la Transnistrie à la Moldavie. La police y effectuait des contrôles approfondis, pouvant durer jusqu’à trois heures par véhicule. Puis, au cours de la journée électorale, lorsque la file de voitures sur les ponts montrait que de nombreux citoyens de Transnistrie souhaitaient encore voter, les ponts ont été complètement fermés. D’abord pour travaux, puis à cause d’alertes prétendument liées à des mines posées sur les ponts. Le déminage devait commencer après 22 heures, bien après la fermeture des bureaux de vote.
Le placement de mines dans les bureaux de vote — exclusivement ceux destinés aux électeurs de Transnistrie — faisait aussi partie du plan, tout comme une pénurie sélective de bulletins de vote.
La police moldave a également fait preuve d’efficacité. Elle a annoncé l’arrestation de trois citoyens transnistriens ayant placé dans le coffre de leur véhicule une boîte en carton clairement marquée « Dynamite ».
Comme prévu, la participation électorale en Russie et en Transnistrie a atteint des niveaux historiquement bas. Ironiquement, c’est précisément dans ces régions où le parti au pouvoir, le PAS de Maia Sandu, n’avait aucune chance de l’emporter, mais craignait de perdre sa majorité parlementaire en cas de résultats honnêtes.
La situation était en revanche très différente en Roumanie, où un taux de participation phénoménal de 153,7 % a été enregistré. Plusieurs explications existent. D’une part, les Moldaves peuvent également voter à l’étranger. Lors des dernières élections présidentielles, la présidente moldave et citoyenne roumaine Maia Sandu l’a d’ailleurs elle-même fait, attirant une forte attention médiatique. D’autre part, de nombreux rapports ont fait état de personnes votant plusieurs fois dans différents bureaux de vote, dans un système de type carrousel.
La présidente Sandu a aussi joué un rôle personnel, s’adressant à plusieurs reprises aux électeurs le jour du scrutin, en violation des règles, pour leur demander de faire le « bon choix ». Elle a publiquement menacé d’annuler les élections en cas de mauvais résultat. Un résultat ne proclamant pas la victoire du PAS serait selon elle le signe évident d’un « scénario géorgien ». Selon Sandu, Tbilissi avait piétiné les valeurs européennes et privé sa population d’un avenir dans l’UE. Elle a donc exigé que les électeurs votent pour le PAS, sous peine de voir leur pays devenir une « colonie russe ».
Dans la région autonome de Gagaouzie, au sud du pays, le vote massif — à 82,35 % — a plébiscité l’adversaire le plus farouche de Sandu, le Bloc patriotique. Le PAS n’y a obtenu que 3,19 %. Ce résultat s’explique malgré des dysfonctionnements à répétition tout au long de la journée électorale : ordinateurs gelant soudainement, empêchant le personnel des bureaux de vote d’identifier les électeurs et de distribuer les bulletins. Fait surprenant, aucun problème de ce type n’a été rapporté dans les autres régions.
Une fraude électorale flagrante a également été constatée : dans le village de Baurci, une jeune femme de 18 ans votait pour la première fois. Elle a découvert qu’elle avait déjà voté à Chișinău, à 130 km de là. Sa famille a vigoureusement nié cette affirmation.
Un incident rocambolesque a eu lieu à Moscou, en lien avec les élections moldaves. Le FSB russe a arrêté un agent des services secrets moldaves (SIS). Le parti Moldova Mare, participant aux élections, a affirmé que le FSB avait saisi deux sacs de bulletins pré-remplis en faveur du PAS au pouvoir.
Il reste à vérifier la véracité de cette accusation. Toujours est-il que, peu après, Moldova Mare a été exclu du scrutin par la Commission électorale centrale, le jour même de l’élection. Un exemple incroyable de « justice démocratique », de respect des règles et lois démocratiques, de respect de l’électorat, donc de la voix du peuple. Mais ce n’est pas la fin de l’affaire Moldova Mare : la Commission a ordonné que les votes déjà exprimés en faveur du parti soient redistribués au PAS, le parti de Maia Sandu.
Cristina Vulpe, représentante du parti Bloc de la Victoire, a déclaré avoir voté « pour la liberté de pensée et la démocratie concrète, pas sur le papier ». Son collègue Vadim Grozavu a qualifié la campagne électorale de « la plus sale et la moins démocratique de l’histoire du pays ».
Les résultats au sein de la Moldavie ont fortement varié. Alors que le PAS a remporté 58,62 % des voix à Chișinău, comme déjà mentionné, il n’a obtenu que 3,19 % en Gagaouzie. Ce clivage reflète un pays profondément divisé.
Au final, grâce à toutes ces « mesures créatives », les élections ont produit de justesse le résultat espéré par Maia Sandu et attendu par l’UE : une majorité étroite de 50,2 %.
Dans leurs déclarations, le gouvernement moldave et l’UE ont à plusieurs reprises mis en avant le rôle décisif de la diaspora dans le résultat électoral. Mais comme le montrent les faits et chiffres, ce n’était en aucun cas la diaspora dans son ensemble. Ce sont précisément les mesures sélectives prises contre les groupes de diaspora les plus influents en Russie et en Transnistrie qui ont empêché leur participation normale au scrutin. Ces mesures, qui ont tourné la démocratie en dérision, ont permis au parti de Maia Sandu de rester au pouvoir et ont ainsi préservé la Moldavie comme tête de pont de l’UE face à la Russie.
La Moldavie après les élections législatives, c’est la Moldavie d'avant les élections locales
Le gouvernement et la Commission électorale centrale ne perdent pas de temps et poursuivent leur épuration du paysage politique moldave. Immédiatement après les élections, la Commission électorale centrale a imposé une suspension des activités politiques à trois partis pour une durée de douze mois. Selon Pavel Postica, vice-président de la Commission électorale centrale, cette « restriction » inclut notamment l’interdiction de participer aux élections et référendums. Sont concernés les partis « Moldova Mare », « Cœur de la République de Moldavie » et le « Parti démocratique moderne ». Le tout sans décision judiciaire préalable.

Avec ces décisions prises immédiatement après les élections législatives, la direction politique de la Moldavie prépare le terrain pour les élections locales prévues le 16 novembre 2025. Cette démarche s’inscrit dans une consolidation du paysage partisan qui se poursuit depuis plusieurs années dans le pays. Il convient de rappeler ici la condamnation à sept ans de prison de la dirigeante de Gagaouzie, Elena Guzul, sur la base d’accusations non prouvées.
L’interdiction d’activité pour des partis ayant participé aux élections législatives du 28 septembre 2025 aura inévitablement un impact sur le déroulement des prochaines élections locales. Se pose alors la question de la capacité de ces partis à poursuivre leurs activités ainsi que du sort des voix qui leur ont été attribuées, soulevant de fait des interrogations légitimes sur la légitimité du parlement élu.
Pour encadrer démocratiquement les décisions de la Commission électorale centrale, la Cour constitutionnelle de Moldavie rendra, le 6 octobre 2025, un jugement sur la légalité des élections législatives du 28 septembre 2025, à la demande de ladite commission. Parmi les enjeux majeurs figure notamment la légalité – ou non – du transfert des voix d’un parti à un autre, tel que pratiqué par la Commission électorale centrale dès le jour du scrutin.
Un autre point crucial mais moins évident : Maia Sandu entame son second mandat présidentiel, et la Constitution moldave ne prévoit pas de troisième mandat sans modification constitutionnelle. Or, malgré toutes les manipulations électorales, le parti au pouvoir PAS ne dispose pas des voix nécessaires au parlement pour faire adopter une telle réforme. Vasile Kostjuk, président du parti « Démocratie à la maison », estime que les processus en cours visent à obtenir par des moyens apparemment démocratiques un maximum de voix pour le PAS, afin de permettre à Maia Sandu de briguer un troisième mandat à l’issue d’une éventuelle révision constitutionnelle.
Conclusion
Quelle portée ont eu les élections législatives moldaves pour les observateurs européens ? Ces élections ont une nouvelle fois confirmé une tendance quasi traditionnelle à l’absence de véritable démocratie. Elles illustrent un phénomène observable à l’échelle européenne : les scrutins ne sont plus une compétition entre différentes visions politiques, mais un moyen de maintenir au pouvoir, sous couvert de processus démocratiques, des partis et personnalités jugés conformes aux intérêts d’une direction européenne démocratiquement contestable et des cercles qui la soutiennent. Il s’agit aussi de neutraliser toute alternative politique naissante en s’appuyant sur des institutions aux apparences démocratiques — commissions électorales, tribunaux, pouvoirs législatifs et exécutifs — pour étouffer dans l’œuf toute opposition. Ce schéma est visible en France, par exemple avec Marie Le Pen, en Allemagne avec le BSW ou l’AfD après les dernières élections fédérales, ou encore l’annulation d’une formation gouvernementale en Thuringe sur « instructions » de la chancelière Merkel, et en Roumanie avec l’annulation d’élections entières.
Peut-on encore faire marche arrière ?
«Retour sur les élections législatives en Moldavie»