
Le Biélorussie d'un point de vue géopolitique
C’était en 2020, le premier été du Covid. Pendant plusieurs mois, les populations du monde entier avaient reçu l’ordre de respecter la « distanciation sociale », de porter des masques et d’éviter tout type de rassemblement — même en extérieur. Il n’en alla pas de même en Biélorussie, où le gouvernement estima que, face au dilemme entre protéger la santé par des confinements et préserver l’économie, cette dernière devait primer. Ainsi, aucun confinement n’eut lieu en Biélorussie.
Puis, le 9 août 2020, à la suite d’une élection controversée, de nombreux Biélorusses descendirent dans la rue. Alexandre Loukachenko, président sortant, avait officiellement recueilli plus de 80 % des suffrages. L’opposition biélorusse accusa le gouvernement de fraude électorale. L’Union européenne et les États-Unis apportèrent rapidement leur soutien aux manifestants — au nom de la liberté et de la démocratie, bien entendu. Tandis que les populations d’Europe et d’Amérique étaient invitées à rester chez elles, les gouvernements européens et Washington encourageaient le peuple biélorusse à sortir. Les considérations géopolitiques et le désir d’arracher la Biélorussie à la sphère d’influence russe l’emportaient sur les préoccupations sanitaires. Durant quelques jours intenses, la Biélorussie sembla au bord de devenir une nouvelle Ukraine : en février 2014, sur la place de l’Indépendance à Kiev, avec une ingérence occidentale massive, la foule avait renversé le président Viktor Ianoukovitch, qualifié de pro-russe.
Les protestations en Biélorussie ont duré plusieurs semaines et ont donné lieu aux plus grandes manifestations de l'histoire du pays. La population rêvait de renverser Loukachenko, au pouvoir depuis 1994.

Mais le président ne céda pas. Les manifestations furent écrasées d’une main de fer, entraînant des arrestations massives. Des dizaines de milliers de personnes quittèrent le pays, parmi elles la nouvelle et inattendue figure de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa. Ancienne professeure de langues devenue mère au foyer à plein temps, sans aucune expérience politique, elle avait repris le flambeau de son mari Sergueï Tikhanovski, devenu populaire grâce à son blog mais emprisonné avant les élections.

Il avait annoncé sa candidature et comparé Loukachenko à un cafard qu’il fallait écraser avec une pantoufle. C’est pourquoi, pendant un temps, la révolution biélorusse fut également surnommée la « révolution de la pantoufle ». Une telle rhétorique ne fut pas bien accueillie par les autorités.
Tikhanovskaïa trouva refuge en Lituanie, aux côtés de nombreux autres dirigeants de l’opposition biélorusse. Cinq ans plus tard, elle rencontre régulièrement les principaux responsables politiques européens, comme si elle était la présidente légitime de la Biélorussie. De nombreux politiciens et commentateurs en Europe et aux États-Unis désignent d’ailleurs l’opposition biélorusse comme un véritable « gouvernement en exil ».
Le 9 août 2025, l’Union européenne et une large partie des médias grand public en Europe et en Amérique ont commémoré l’anniversaire de la révolution biélorusse avortée. Le message était clair : la lutte continue, nous n’abandonnerons pas. Dans une déclaration conjointe, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente Kaja Kallas, ainsi que la commissaire à l’élargissement Marta Kos, ont affirmé : « Nous nous tenons en pleine solidarité avec le peuple biélorusse. (…) L’UE soutiendra le peuple biélorusse sur son chemin vers la démocratie aussi longtemps qu’il le faudra. » L’Union a également rappelé que, depuis 2020, elle avait « mobilisé 170 millions d’euros pour soutenir la société civile biélorusse, les médias indépendants et les victimes de la répression ».
La Biélorussie peut sembler insignifiante aux yeux de la majorité des citoyens européens. Mais le pays joue manifestement un rôle important dans les projets futurs de l’establishment occidental. La bataille pour la Biélorussie, en tant que pays stratégique dans la rivalité géopolitique avec la Russie, se poursuit — à l’image de ce qui s’était produit en Ukraine avant 2014.

Dans un article récemment publié dans le prestigieux magazine américain Foreign Affairs, Tikhanovskaïa écrivait :
"Depuis l’extérieur du pays, mes collègues et moi travaillons à libérer notre patrie. Nous avons formé un gouvernement en exil, composé d’activistes biélorusses et de transfuges du régime, prêt à prendre la tête de la reconstruction du pays. Nous avons établi des relations officielles avec les responsables américains et européens. De nombreux pays me considèrent désormais comme la dirigeante légitime de la Biélorussie."
Svetlana Tikhanovskaya
Mais tandis que ceux qui vivent à l’étranger rêvent d’un retour spectaculaire, en Biélorussie même, il ne subsiste presque rien de l’esprit révolutionnaire d’alors. L’atmosphère, que ce soit dans la capitale Minsk — une ville de deux millions d’habitants — ou dans les autres cités du pays, est d’un calme absolu. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les Biélorusses sont surtout reconnaissants que leur pays ait pu éviter une confrontation directe avec la Russie. Aucune manifestation n’a eu lieu lors des élections de janvier dernier. Mais l’Occident ne semble pas s’en soucier le moins du monde.
La Biélorussie comme État tampon
Si quelqu’un avait prédit, il y a cinq ou dix ans, que l’avenir de l’Europe dépendrait de l’Ukraine, il aurait sans doute été tourné en dérision ou, au mieux, ignoré. En 2025, il paraît pourtant évident que le destin de l’Europe se joue en grande partie dans l’issue de la guerre en Ukraine — une guerre dont la fin demeure incertaine, malgré les nombreuses prédictions avancées ces dernières années.
Le cas de la Biélorussie présente des similitudes avec celui de l’Ukraine. Aujourd’hui, Minsk est un allié proche de Moscou. Mais cette alliance est-elle appelée à durer ? S’agit-il d’une union solide et durable, ou existe-t-il des tensions sous-jacentes ? L’identité biélorusse est complexe, façonnée par une longue histoire. Beaucoup de Biélorusses se sentent liés à la Russie — à la fois historiquement et culturellement. Mais c’était également vrai en Ukraine, jusqu’à il y a encore quelques années. En Biélorussie aussi, une partie importante de la population garde en mémoire l’histoire antérieure à 1772, c’est-à-dire avant le premier partage de la République des Deux Nations, qui fit passer de vastes territoires de l’actuelle Biélorussie sous la domination de l’Empire tsariste russe.



Après l’effondrement de l’Union soviétique, la Biélorussie a passé des décennies à tenter, avec un succès inégal, de maintenir un équilibre dans ses relations avec l’Occident, la Russie et la Chine. Après les élections de 2020, ses relations avec l’Europe et les États-Unis se sont nettement détériorées, et après 2022, elles ne se sont certainement pas améliorées.
Aujourd’hui, la Biélorussie est communément perçue comme un État satellite de la Russie, avec laquelle elle entretient des liens historiques, culturels et économiques. Pourtant, cette relation n’est pas seulement faite de subordination : la plupart des Biélorussiens — y compris ceux que l’on qualifie un peu vite de « russophiles » — sont conscients et fiers de leur propre héritage national. La Biélorussie n’a jamais été une simple excroissance de la Russie, et l’Europe a, à maintes reprises, cherché à l’en détacher autant que possible.
En Europe centrale et orientale, la Biélorussie occupe une position géographique stratégique, à la jonction de la Pologne, de la Lituanie, de l’Ukraine et de la Russie. Cette région frontalière a, depuis des siècles, absorbé et reflété de multiples dynamiques : la poussée de l’Allemagne vers l’est, les ambitions impériales de la Pologne, et aujourd’hui les scénarios d’élargissement conçus à Bruxelles. Ces derniers ont été formalisés par le Partenariat oriental, lancé en 2009 par l’actuel ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, et son homologue suédois, Carl Bildt. Ce programme visait à rapprocher de l’Union européenne des pays tels que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie et l’Ukraine. La Biélorussie s’en est retirée en 2021.
L’Europe centrale et la géopolitique
À première vue, le terme "Europe centrale" paraît inoffensif. Aujourd’hui, il sert surtout de catégorie géographique ou d’outil pour les historiens, tandis que les politologues privilégient désormais une opposition plus globale : « l’Occident » face au « reste du monde ». Pourtant, les origines du terme dépassent largement la simple géographie : elles traduisent des ambitions géopolitiques, des visées hégémoniques, des projets culturels et des repositionnements stratégiques.
Au début du XIXᵉ siècle, le concept apparaît comme désignation d’un « espace entre l’Ouest et l’Est ». Mais c’est à la veille et pendant la Première Guerre mondiale qu’il acquiert sa charge la plus lourde : l’Europe centrale devient alors un projet d’intégration économique et culturelle placé sous domination allemande. Au tournant du XXᵉ siècle, l’idée d’Europe centrale oscille entre impulsions libérales, aspirations impériales et récits nostalgiques. Elle est reprise par des géographes et géopoliticiens qui définissent cette région comme un champ stratégique de rivalité, notamment entre l’Allemagne et la Russie.
Une version particulièrement influente de la Mitteleuropa fut défendue par le politicien allemand Friedrich Naumann.

Dans son ouvrage Mitteleuropa, publié en 1915, il esquissait la vision d’un bloc centre-européen dirigé par l’Allemagne, doté de marchés intégrés et d’infrastructures communes.

Naumann, pasteur protestant et libéral, fonda en 1896 l’Association national-sociale, qui combinait libéralisme, nationalisme et idéaux sociaux d’inspiration protestante. Son objectif était de promouvoir la réforme sociale et d’éviter les conflits de classe. Aujourd’hui, la fondation liée au FDP (Freie Demokratische Partei – Parti libéral-démocrate) en Allemagne porte son nom : la Fondation Friedrich Naumann.
Naumann était souvent perçu comme un défenseur du nationalisme allemand teinté de militarisme et d’expansionnisme. Son projet d’Europe centrale reposait sur l’idée d’un cordon sanitaire entre l’Allemagne et la Russie, économiquement et politiquement subordonné à Berlin. Il partageait également certaines idées darwinistes sociales ainsi que le concept de Volksgemeinschaft (« communauté populaire »), aux côtés d’autres intellectuels et hommes politiques de son époque, tels que Max Weber, Lujo Brentano, Hellmut von Gerlach, le jeune Theodor Heuss ou encore Gustav Stresemann.
L’idée d’une Biélorussie moderne fit son apparition en 1918, lors de la première occupation allemande. Avec l’effondrement de l’Empire tsariste, la République populaire ruthène blanche fut proclamée à Minsk — un État éphémère toléré sous la protection militaire allemande après le traité de Brest-Litovsk, mais rapidement balayé par la guerre civile et la restauration soviétique. Toutefois, 1918 laissa deux héritages durables : la Rada en exil et les symboles nationaux du drapeau blanc-rouge-blanc et des armoiries Pahonia, relancés après 1991 puis à nouveau lors des manifestations de 2020. Aujourd’hui, la Biélorussie est marquée par la coexistence de deux drapeaux incarnant deux identités nationales concurrentes : le drapeau d’État rouge et vert, orné de motifs traditionnels, qui évoque l’ère soviétique et le contrat social postérieur à 1994 ; et le drapeau blanc-rouge-blanc, qui renvoie à 1918 et questionne la continuité historique de l’État.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’expansion allemande en Biélorussie apporta occupation, exploitation, destruction et génocide — mais aussi quelques gestes limités de reconnaissance culturelle, contrôlée par l’occupant, comme en Ukraine. Après l’invasion de 1941, l’Allemagne établit le District général de Ruthénie blanche au sein du Reichskommissariat Ostland, placé sous l’autorité de Wilhelm Kube.


Sous l’occupation allemande, le Conseil central ruthène blanc fut créé en 1943 et bénéficia d’une autonomie culturelle et éducative limitée : usage accru du biélorussien dans la vie quotidienne, promotion d’organisations de la société civile, création d’une université, restauration d’une Église orthodoxe indépendante. Par ailleurs, la Belaruskaya Gazeta, contrôlée par les autorités allemandes, fut publiée en biélorussien entre 1941 et 1944 comme instrument de propagande.

La Biélorussie aujourd’hui
Géographiquement, l’Europe centrale a toujours été conçue comme la charnière des corridors terrestres et maritimes reliant le cœur continental à la Baltique, à la mer Noire et à la Méditerranée. Celui qui contrôle ces axes dispose d’un levier stratégique sur le commerce, l’énergie et les transports. C’était déjà la logique des projets d’intégration économique pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que des ambitions géopolitiques allemandes : le contrôle des nœuds ferroviaires, des routes énergétiques et des lignes de communication signifiait puissance et projection. Aujourd’hui, ce concept se traduit concrètement par les corridors énergétiques (gazoducs et oléoducs), les lignes ferroviaires (y compris les corridors Chine–Europe), les parcs industriels transnationaux et les unions douanières.
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko est souvent décrit dans les médias occidentaux comme une marionnette du Kremlin. En réalité, il a longtemps cultivé une indépendance certaine, critiquant parfois Moscou avec virulence. Le cadrage réducteur « autoritarisme contre société civile » ne suffit pas à expliquer la situation politique biélorusse. Élu en 1994, Loukachenko prit la tête d’un pays durement frappé par l’effondrement soviétique. L’ordre public s’était disloqué ; des gangs armés contrôlaient des portions entières d’autoroutes et attaquaient les camions, notamment sur la route de Brest à Minsk. Loukachenko rétablit rapidement l’ordre, quitte à recourir à des mesures draconiennes. Peu de Biélorusses gardent la nostalgie des années chaotiques qui suivirent 1991.
Formellement, la Biélorussie et la Russie appartiennent depuis 1999 à l’État de l’Union, une confédération inachevée. Malgré des liens économiques et politiques étroits, Loukachenko a toujours insisté sur l’indépendance de son pays. L’Occident, de son côté, a plusieurs fois cherché un rapprochement lorsque les tensions avec Moscou s’exacerbaient. Mais le soutien inconditionnel apporté à l’opposition en 2020 a fini par pousser Minsk dans les bras de la Russie. Pendant des années, la Biélorussie avait refusé le stationnement permanent de troupes russes. Or, en février 2022, des milliers de soldats russes ont traversé son territoire pour marcher sur l’Ukraine. Aujourd’hui encore, la Biélorussie n’est pas directement impliquée dans la guerre et s’efforce de conserver une posture de neutralité malgré son alliance avec Moscou. Les premières négociations de paix en 2022 se sont tenues sur son sol, comme jadis les pourparlers de Minsk sur le Donbass en 2014 et 2015.
À l’échelle asiatique, la Biélorussie est devenue en juillet 2024 le premier État européen (hors Russie, considérée comme puissance eurasiatique) à rejoindre à part entière l’Organisation de coopération de Shanghai. Ce choix marque la volonté de Minsk de se doter de redondances diplomatiques et logistiques vers l’Est. L’objectif est de protéger chaînes d’approvisionnement, finances et assurances contre les sanctions occidentales en s’appuyant sur les plateformes eurasiennes.

Le fleuron industriel de cette stratégie est le parc industriel sino-biélorusse « Great Stone », situé près de Minsk et présenté comme le « joyau de la Route de la soie ». Avec plus d’une centaine d’entreprises, il constitue un centre de recherche, d’industrie légère et de logistique entre l’Union économique eurasiatique (UEEA : Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Arménie, Kirghizstan, avec la Moldavie comme observateur) et l’Union européenne. Il s’agit de la version biélorusse d’une géo-économie « résistante aux sanctions » : attirer des capitaux et des technologies non occidentaux, et fonder la croissance sur des corridors Est-Ouest et Nord-Sud contournant les ports contrôlés par l’OTAN.
L’aspect militaire
La crise migratoire de 2021 aux frontières avec la Pologne et la Lituanie a durci la position de Varsovie et de Vilnius vis-à-vis de la Biélorussie, étendant les dynamiques de conflit bien au-delà du théâtre ukrainien. Aujourd’hui, la frontière occidentale de la Biélorussie est l’une des plus lourdement militarisées d’Europe. Autrefois, c’était la Trouée de Fulda qui constituait le point chaud emblématique de la guerre froide, là où les stratèges de l’OTAN redoutaient une percée de chars soviétiques en direction de l’Allemagne de l’Ouest.

La Trouée de Fulda symbolisait jadis la crainte d’une escalade soudaine en Europe. Mais les chars soviétiques ne sont jamais venus. Aujourd’hui, ce rôle est repris par la Trouée de Suwałki, étroite bande de terre entre la Pologne et la Lituanie reliant l’enclave russe de Kaliningrad à la Biélorussie. Les stratèges de Washington et de Bruxelles la décrivent souvent comme l’un des endroits les plus dangereux du monde — un déclencheur potentiel d’une guerre majeure.
La probabilité d’un tel conflit doit toutefois être évaluée avec prudence. Les risques sont réels et ne doivent pas être ignorés, mais ils ne doivent pas non plus être exagérés. Les États baltes considèrent la combinaison de la centrale nucléaire d’Astravets et du déploiement d’armes nucléaires tactiques russes en Biélorussie comme une double menace stratégique, tandis que Varsovie tend à percevoir tout son flanc oriental comme une « ceinture de sécurité ». Comme jadis la Trouée de Fulda durant la guerre froide, la Trouée de Suwałki est autant un symbole qu’un champ de bataille potentiel : un instrument de pression psychologique et un point focal des exercices militaires et des scénarios du pire. Son danger ne réside pas uniquement dans les chars ou les missiles, mais aussi dans le fait que le discours anxiogène lui-même durcit les perceptions et réduit l’espace pour la diplomatie.
Scénarios futurs
Des signes de détente apparaissent toutefois en Biélorussie. Sergueï Tikhanovski, ancien opposant de Loukachenko, a récemment été libéré et a rejoint son épouse en Lituanie, d’où il entend poursuivre son combat. Dans une interview au magazine américain TIME, Loukachenko — qui aura 75 ans dans cinq ans — a déclaré qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections. Aujourd’hui, la Biélorussie paraît propre et ordonnée. Mais le départ du président pourrait révéler des divisions profondes dans la société, que des acteurs extérieurs chercheront sans doute à exploiter — comme ce fut le cas en Ukraine. Ce qui avait commencé là-bas comme un différend régional dans un pays lointain a débouché sur la plus grande guerre en Europe depuis 1945, un conflit qui pourrait encore s’intensifier. Malheureusement, un scénario similaire n’est pas à exclure en Biélorussie. Alors, quels avenirs possibles se dessinent pour ce pays charnière ?

Le premier scénario est celui de la stabilisation : la Biélorussie continue de monétiser son intégration avec Moscou, s’appuie sur l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et sur l’Union économique eurasiatique (UEEA) pour contourner les goulots d’étranglement, et consolide à la fois la centrale nucléaire d’Astravets et les corridors logistiques vers l’Asie. C’est l’évolution la plus probable à court terme — surtout tant que la guerre en Ukraine entretient une forte entropie stratégique, c’est-à-dire un climat d’incertitude et de désordre géopolitique dans la région.
Le deuxième scénario est celui de la normalisation, au sens d’un rôle de « pont ». Mais il paraît peu réaliste aujourd’hui : Minsk tente certes de rouvrir des canaux techniques avec l’Union européenne sur des dossiers jugés « neutres » (sécurité nucléaire, santé, douanes), et cherche progressivement à atténuer certaines sanctions sectorielles par des garanties frontalières et des gestes symboliques de désescalade. Toutefois, cette voie exigerait des incitations crédibles de la part de l’Europe ainsi qu’une réconciliation avec la diaspora politique — deux conditions encore hors de portée.
Le troisième scénario est celui du choc de succession : le départ de Loukachenko dans un avenir proche pourrait déclencher un jeu instable entre élites économiques, appareils sécuritaires et société civile. Moscou chercherait à anticiper et encadrer l’issue dans le cadre de l’État de l’Union, tandis que Washington et Bruxelles pousseraient à européaniser au moins une partie de la nouvelle direction. Le danger est que, faute de garanties conjointes, un nouveau chapitre de la guerre par procuration entre l’Occident et la Russie s’ouvre en Biélorussie.
«Le Biélorussie d'un point de vue géopolitique»