
La Suisse fixe ses limites et refuse de participer à la persécution des journalistes
Introduction
Au cours des trois dernières années, j'ai été très critique à l'égard de la Suisse et de l'adoption de toutes les sanctions de l'UE contre la Russie, car mon pays d'origine a ainsi renoncé à sa neutralité et est devenu partie prenante d'un conflit avec lequel il ne devrait rien avoir à faire en tant que pays neutre. Voir, par exemple, mon article "La Suisse est en danger".
Mais la Suisse vient de fixer une limite lorsqu’il s’agit de sanctions visant des voix dissidentes. Ce constat mérite qu’on s’en réjouisse, qu’on le replace dans son contexte et qu’on en tire les leçons.
L'UE persécute les dissidents
Toute personne critique sait depuis longtemps que l'UE a dégénéré en dictature et qu'elle restreint la liberté d'expression dans des proportions inacceptables. Nous avons déjà traité ce sujet de manière exhaustive en octobre 2023 dans notre article "La liberté d'expression dans l'UE, c'est de l'histoire ancienne", où nous avons examiné en particulier le "Règlement relatif au marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (loi sur les services numériques)" et écrivions à l'époque que des temps orwelliens nous attendaient.
Cela dit, je n’aurais pas imaginé à ce moment-là que l’UE irait jusqu’à s’en prendre à ses propres journalistes. Car lorsqu’on est juriste, on garde au fond de soi une certaine foi dans l’État de droit. Pourtant, je dois admettre qu’en dépit de ma profession d’observateur géopolitique, habitué aux dérives les plus inquiétantes, je succombe encore régulièrement à ma propre naïveté. Et je n’ai pas eu longtemps à attendre.
Le 20 mai 2025, le Conseil de l'Union européenne (DECISION DU CONSEIL (PESC) 2025/966) a imposé des sanctions contre deux journalistes allemands - Alina Lipp et Thomas Röper - pour la première fois. Cette décision a été signée par Kaja Kallas en tant que "présidente" du Conseil de l'Union européenne. J’ai longuement analysé les violations inacceptables du droit que contient cette décision dans mon article "L'UE sanctionne des journalistes allemands". En plus de Röper et Lipp, tous deux allemands, dix-neuf autres journalistes originaires de divers pays ont été sanctionnés pour des motifs proprement scandaleux.
La Suisse décide autrement - mais très discrètement
Jusqu’à présent, la Suisse reprenait mécaniquement les paquets de sanctions de l’UE contre la Russie, généralement dans les jours qui suivaient, selon une logique de copier-coller, ce qui laisse à penser qu’elle adoptait ces volumes réglementaires sans les analyser sérieusement, se pliant ainsi aux diktats de Bruxelles.
Lorsque j'ai écrit l'article susmentionné le 25 mai, cinq jours après la publication de la décision de l'UE, je me demandais déjà - avec un faible espoir - si les gens à Berne réfléchiraient à deux fois à cette mesure scandaleuse et j'écrivais:
"La Suisse est restée silencieuse jusqu'à présent. Je n’imagine pas qu’elle puisse soutenir cette mascarade illégale. En tant qu'avocat suisse, j'ai tout simplement trop confiance en ma patrie."
Peter Hänseler - 25 Mai 2025
Le 17ᵉ paquet de sanctions de l’UE a bel et bien été repris sans réserve par la Suisse — mais pas la décision visant les journalistes, signée de manière étrange par Kaja Kallas en tant que « Présidente du Conseil de l’Union européenne », alors que ce poste est en réalité occupé par Antonio Costa.
Mais si vous vous attendiez à une déclaration publique de Berne pour marquer ce refus, vous vous trompez. Dans un article de la Weltwoche de Rafael Lutz, qui écrit également pour nous, il rapporte que la porte-parole du SECO, Mme. Tschanz, lui a dit ce qui suit:
"En principe, le Conseil fédéral décide de l'imposition de sanctions au cas par cas et après une pesée des intérêts exhaustive."
Porte-parole Tschanz, SECO, à la Weltwoche
Comment cette décision a été prise et sur quelle base reste inconnu. Le département du conseiller fédéral Guy Parmelin a simplement souligné l’importance que la Suisse accorde à la liberté de la presse. À titre d’exemple, des médias comme Russia Today sont encore accessibles en Suisse, contrairement à ce qui se passe dans les pays de l’UE.
Lutz poursuit en écrivant:
"Les gens sont capables de reconnaître eux-mêmes ce qui relève du n’importe quoi et ce qui ne l’est pas. Ils sont assez mûrs pour se faire leur propre opinion », affirme un collaborateur du Département fédéral de l’économie (DEFR), sous couvert d’anonymat."
Weltwoche - 18 juin 2025
Un petit pas dans la bonne direction
Discrètement mais fermement, le gouvernement suisse a donc décidé de ne pas suivre l’Union européenne dans les abysses du totalitarisme, rappelant les heures les plus sombres de l’Allemagne des années 1930. Car ne soyons pas naïfs : c’est bien le gouvernement allemand qui a demandé à Bruxelles de sanctionner Röper et Lipp.
« Une hirondelle ne fait pas le printemps. »
On peut pardonner au gouvernement suisse d’avoir agi sans bruit — seul le résultat compte. Cette fois, je n’ai pas été naïf en faisant confiance à l’État de droit dans mon pays le 25 mai. Néanmoins, une hirondelle ne fait pas le printemps.
«La Suisse fixe ses limites et refuse de participer à la persécution des journalistes»