James Patrick dans un entretien avec Claudio Grass

James Patrick dans un entretien avec Claudio Grass

Claudio Grass s'entretient avec James Patrick, auteur du documentaire "Stop it ! The Great Taking".
Claudio Grass
lun. 21 juil. 2025 1566 4

Comme beaucoup de mes clients, amis et lecteurs réguliers le savent bien, j’ai passé la majeure partie de la dernière décennie à critiquer tous les grands maux et abus de l’État et de ses complices du capitalisme de connivence. J’ai rédigé de nombreuses analyses et prononcé maints discours pour alerter mes concitoyens sur les dangers des dérives autoritaires et de la concentration du pouvoir par le gouvernement. Les risques les plus importants se trouvent, sans exception, dans les questions monétaires et dans le système bancaire. Après tout, celui qui contrôle la monnaie contrôle le monde.

Aujourd’hui, ceux d’entre nous qui ont étudié l’histoire monétaire et qui observent attentivement le fonctionnement du système actuel savent parfaitement que les monnaies fiduciaires sont dépourvues de toute valeur réelle. Leur valeur perçue dépend entièrement de l’État, et la notion même de propriété de son épargne est une illusion. Les épargnants peuvent se réveiller un matin et découvrir qu’ils n’ont plus accès à leurs comptes bancaires, comme on l’a vu au Canada, ou qu’une partie de leur épargne s’est tout bonnement évaporée, comme à Chypre.

Ce qui pourrait toutefois être une surprise bien plus troublante, c’est que ce risque et cette incertitude concernant les droits de propriété s’étendent aussi aux titres financiers. Dans l’entretien qui suit, James Patrick parle du sujet de son nouveau documentaire, "STOP IT! The Great Taking", qui met en lumière une transformation peu connue mais aux conséquences majeures du droit des valeurs mobilières à l’échelle mondiale. Il révèle le changement choquant qui s’est produit à travers une série de modifications législatives aux États-Unis et dans l’Union européenne, lesquelles ont discrètement transféré des droits légaux des investisseurs vers les grandes institutions financières. Cela a conduit à une redéfinition juridique de la propriété des actions, obligations et autres actifs que les investisseurs croient détenir pleinement, alors qu’en pratique, en réalité et légalement, ce n’est pas le cas.

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Claudio Grass (CG) : Ravi de m’entretenir à nouveau avec toi, James. Beaucoup de gens ont entendu parler du terme « The Great Taking » proposé par David Webb, mais pourrais-tu résumer brièvement de quoi il s’agit ?

James Patrick (JP) : Bien sûr. L’histoire concerne une pratique frauduleuse qui s’est développée au sein de l’industrie des services financiers : utiliser subrepticement les titres des clients comme garantie pour leurs propres transactions et les prêter à d’autres entreprises pour qu’elles les utilisent comme garantie pour des paris spéculatifs. Cette pratique est devenue courante dans les années 1970, mais des changements législatifs visant à légaliser cette fraude ont été mis en place aux États-Unis dans les années 1990 et harmonisés dans le droit de l’UE dans les années 2000.

CG : Donc, de quels titres parle-t-on exactement ? S’agit-il des actions et obligations que les investisseurs particuliers achètent par l’intermédiaire de leur courtier ?

JP : Malheureusement, cela concerne tous les titres sur le marché. Tous les investisseurs en titres, petits ou grands, même les investisseurs institutionnels ou sophistiqués, sont exposés au risque de défaillance de leur courtier et des intermédiaires financiers situés au-dessus d’eux dans le système. Même lorsque les clients se voient dire que leurs comptes sont « séparés », en réalité, ce n’est pas le cas. Tous les titres des clients sont conservés dans des comptes communs, puis sont utilisés comme garanties. Cela se reproduit sans cesse dans des "chaînes de collatéral" réhypothéqués.

Lorsque l’une de ces entreprises qui utilisent les actifs des clients fait faillite, les clients n’ont droit qu’à une "part proportionnelle" de ce qui reste des actifs de l’entreprise, et leur droit de récupérer leur propriété est subordonné à celui des créanciers garantis des contrats pour lesquels leurs titres ont été mis en garantie.

CG : C’est vraiment surprenant. Comment cela peut-il être légal ?

JP : Pour répondre à ta question, voici comment cela l’est devenu. L’utilisation frauduleuse des garanties appartenant aux clients a commencé comme un acte illégal et s’est transformée en une pratique courante de l’industrie. Cela a donné lieu à un effort de lobbying coordonné sur plusieurs décennies pour modifier en profondeur le droit des valeurs mobilières et le droit de la faillite afin de légaliser cette pratique. Ces changements législatifs exposent désormais tous les détenteurs de titres au risque total de perte si les entreprises utilisant leurs titres font faillite.

Le premier grand changement légal a eu lieu aux États-Unis, en 1994, avec la révision de l’Article 8 du Code de commerce uniforme (Uniform Commercial Code), qui est la principale section régissant les valeurs mobilières. Cette modification du UCC a introduit deux concepts juridiques nouveaux. Le premier est qu’un titre de propriété direct sur une valeur mobilière a été remplacé par une créance contractuelle sur cette valeur, appelée « Securities Entitlement » (droit à titre de valeur mobilière). Le problème est que cette créance contractuelle est très faible en cas de procédure de faillite.

Le deuxième concept juridique nouveau est que, en cas de faillite, la priorité sur les titres du client est accordée au créancier garanti du contrat dérivé utilisant ces titres comme garantie, avant même le client (le titulaire du droit). La révision de 1994 de l’Article 8 a servi de modèle pour harmoniser ces changements dans le droit de l’UE entre 2004 et 2014, comme le montrent les documents du « Legal Certainty Group » (le groupe de travail chargé de mettre en œuvre ces modifications dans le droit des valeurs mobilières dans l’UE) et les juristes de la Federal Reserve Bank de New York.

CG : Donc, les clients risquent de tout perdre à tout moment si les entreprises qui utilisent leurs actifs font faillite, c’est bien ça ? Et qui sont exactement ces créanciers garantis ?

JP : Les titres des clients sont déposés comme marge initiale sur des contrats dérivés et, si le marché évolue défavorablement pour ces positions, il faut apporter plus de garanties ou la marge initiale est liquidée. Chaque contrat dérivé a un créancier garanti, qui prend le contrôle des garanties mises en gage. Le problème auquel l’industrie était confrontée, c’est que lorsque les titres des clients servent plusieurs fois de garanties pour de nombreux contrats dérivés, et que ces contrats échouent, les créanciers garantis de ces contrats défaillants récupèrent les garanties. Mais il n’y en a pas qu’un seul : ils sont nombreux, ce qui engendre une lutte de priorité entre plusieurs créanciers garantis. L’industrie avait donc besoin d’une certitude juridique pour que les créanciers garantis passent avant les clients. Il fallait éliminer les droits des clients sur leur propre propriété pour que l’industrie des dérivés puisse fonctionner avec un effet de levier aussi élevé.

Un autre obstacle juridique majeur auquel l’industrie faisait face concernait le droit de la faillite. Avant les modifications apportées au droit de la faillite, si les titres d’un client étaient saisis à la veille d’une faillite, cela relevait de la fraude constructive ou du transfert frauduleux. Des changements dans le droit de la faillite ont donc été adoptés au niveau fédéral aux États-Unis en 2005 et 2006, modifiant les dispositions dites de « Safe Harbor » et introduisant les exemptions 546(e) qui exemptaient spécifiquement la fraude. Ils ont littéralement créé des exemptions pour les critères mêmes de fraude constructive et de transfert frauduleux. Je sais que tout cela paraît invraisemblable, mais c’est bien vrai et écrit noir sur blanc dans la loi.

Ces changements législatifs ont conduit à une spéculation effrénée sur le marché des dérivés, dont la valeur est aujourd’hui estimée à environ 2 quadrillions de dollars. La valeur sous-jacente de tous les titres détenus auprès de la Depository Trust and Clearing Corporation (DTCC) à New York et d’Euroclear en Belgique s’élève à environ 130 000 milliards. Comme tous ces 130 000 milliards ne servent pas de garantie, on parle d’un effet de levier systémique supérieur à 20, avec des obligations du Trésor américain dépassant parfois un levier de 150.

CG : Comment se fait-il que l’investisseur moyen n’ait absolument aucune idée de ce problème ? Même des professionnels chevronnés ne sont probablement pas pleinement conscients du risque auquel ils sont exposés sur les marchés. Comment de tels changements juridiques, à ce point importants et transformateurs, ont-ils pu avoir lieu sans aucune information publique, et encore moins de débat ?

JP : Ces changements ont été introduits discrètement, mais sous les yeux de tous. Bien que l’ensemble du secteur bancaire, du marché des pensions livrées (repo) et des dérivés en ait largement profité, rares sont ceux, même dans l’industrie, qui saisissent réellement la situation dans sa globalité et les risques systémiques qui en découlent… Et même les grands investisseurs institutionnels n’en ont aucune idée, alors un client particulier, même s’il a des centaines de millions de dollars sur les marchés, encore moins.

Parallèlement à ces évolutions, le marché des pensions livrées, véritablement développé par JPMorgan, est devenu le principal marché monétaire interbancaire. Ces contrats de « repurchase agreement » (repo) sont intrinsèquement susceptibles de provoquer des problèmes de liquidité systémique en cas de retournement du marché. La BRI (Banque des règlements internationaux) a d’ailleurs rédigé de nombreux rapports alertant sur les "spirales de marge" qui peuvent survenir dans un tel scénario.

CG : Et que peut-on faire face à cela ?

JP : Eh bien, au sein de l’UE, honnêtement pas grand-chose, car une grande partie de tout cela a été inscrite dans le droit communautaire, qui prime sur les gouvernements nationaux. Donc, à moins de démanteler l’UE elle-même, je ne vois pas de stratégie juridique claire pour revenir en arrière. Les gouvernements nationaux de l’UE doivent affirmer leur souveraineté, sortir de l’UE et protéger leurs citoyens.

Mais aux États-Unis, comme la modification juridique fondamentale a été adoptée au niveau des États, elle peut être annulée au même niveau en supprimant quelques exceptions introduites lors de la révision de l’Article 8 en 1994. Cela permettrait de démanteler la structure juridique mise en place par l’industrie pour grever les titres des clients. Si ces projets de loi visant à modifier l’Article 8 sont adoptés dans un État, cela permettrait aux grandes entreprises de réécrire leurs contrats de garde sous la juridiction de cet État, leur garantissant la priorité sur leurs titres si leur courtier ou d’autres intermédiaires financiers faisant usage de leurs titres faisaient faillite.

Si nous ne faisons pas ces changements, nous ne posséderons rien et nous serons malheureux.

CG : Peux-tu développer un peu plus ce dernier point ? Si rien ne change, que penses-tu qu’il se passera ensuite ? À quoi ressemblerait le pire scénario et quels « dominos » devraient tomber pour qu’on en arrive là ?

JP : Dans le pire des cas, on assisterait à une baisse des prix sur le marché des dérivés, ce qui provoquerait une cascade d’appels de marge. Au fur et à mesure, les garanties seraient vendues, peu importe le prix obtenu sur le marché, et tout le marché du collatéral se figerait, tandis que tous les titres des investisseurs seraient transformés en obligations du Trésor américain et repris par les créanciers garantis.

Au final, cela profiterait aux banques « too big to fail » qui absorberaient tout le collatéral. Tout le monde perdrait son épargne et la richesse de la société serait transférée entre les mains de quelques-uns, sans aucun recours juridique possible, sauf une révolution armée. Nous vivrions alors dans un monde bien plus pauvre, tel que décrit dans certaines initiatives de l’ONU comme C40.org, où la viande, les produits laitiers, les voyages longue distance et les voitures seraient hors de portée des gens ordinaires, qui seraient regroupés dans des "ville du quart d'heure".

CG : Comment en es-tu venu à t’intéresser à ce sujet ?

JP : Eh bien, je viens de Washington, DC… ne m’en tiens pas rigueur… et j’ai toujours cherché à comprendre qui contrôle vraiment notre gouvernement « hors de contrôle ». J’en suis venu à la conclusion que ce sont les intérêts bancaires derrière la Réserve fédérale qui tiennent réellement les rênes. J’ai donc cherché les meilleures analyses sur le fonctionnement de la Fed et cela m’a conduit à l’école autrichienne d’économie. Ils proposent la meilleure analyse du cycle économique et des problèmes liés à la réserve fractionnaire. Cette pratique vieille de 300 ans, qui consiste pour les banques à prêter les dépôts de leurs clients et à empocher les intérêts comme bénéfices, ressemble étrangement à la pratique actuelle de l’industrie consistant à mettre en gage et prêter les titres des clients, les profits des opérations revenant à la firme.

Je terminais un doctorat sur la réforme monétaire et bancaire et sur la menace que représentent les MNBC pour les libertés civiles quand l’épisode covid a commencé. Cette violation massive de nos droits m’a mis en colère, alors j’ai décidé d’agir et j’ai lancé le plus grand documentaire international sur le sujet, Planet Lockdown, auquel tu as beaucoup contribué, Claudio. Il y a 18 mois, j’ai rencontré David Webb lors d’une conférence en Suède où nous intervenions tous les deux. Je lui ai proposé de faire un film sur ce sujet et nous avons décidé de réaliser un documentaire. Lui et plusieurs autres banquiers, dont certains travaillaient sur le marché des eurodollars, m’ont aidé à comprendre cette question des titres financiers et à actualiser ma compréhension des marchés financiers au-delà de l’analyse autrichienne. Trois mois après le début du film, des avocats qui ont lu son livre dans le Dakota du Sud ont commencé à introduire des lois au niveau des États pour modifier l’Article 8 du UCC afin de redonner aux clients la priorité sur leurs propres titres, avant les créanciers garantis. Nous étions en train d’interviewer G Edward Griffin lorsque David et moi avons entendu parler de ces initiatives, et le film est rapidement devenu centré sur ces efforts législatifs de 2024 pour modifier l’Article 8 — et la suite appartient à l’histoire. C’est G Edward Griffin qui a suggéré que le film s’intitule « STOP IT! ». Le film est sorti fin janvier et peut être visionné gratuitement sur TheGreatTakingReport.com.

CG : Peux-tu nous parler un peu de ton expérience lors de la réalisation du film ? Et as-tu rencontré des obstacles ou des pressions pendant la production ou après sa sortie ?

JP : Si tu parles de harcèlement, non, je n’en ai pas eu. Très peu de gens connaissent encore ce sujet, et ceux qui en savent un peu ne saisissent pas vraiment toutes les implications. C’est grâce à des entretiens comme celui-ci que davantage de personnes peuvent découvrir ce qui se passe et exercer une pression sur leurs législateurs pour abroger ces lois qui légalisent le vol et la fraude.

CG : Quelle histoire ! Y a-t-il autre chose que tu aimerais ajouter pour conclure ?

JP : Tout le monde peut voir le film sur TheGreatTakingReport.com. Je publie aussi un rapport technique destiné aux investisseurs avertis et aux gestionnaires de fonds pour qu’ils comprennent mieux les risques inhérents au marché des titres financiers. Mon rapport passe en revue les modifications législatives pertinentes aux États-Unis et dans l’UE qui ont sapé les droits de propriété sur les titres et expose les risques méconnus auxquels tous les investisseurs sont confrontés.

Je voudrais aussi encourager tous les citoyens américains à contacter leurs législateurs au niveau de leur État pour amender l’Article 8. C’est un objectif réaliste et la première étape pour restaurer nos droits de propriété et désamorcer pacifiquement une bulle de dérivés de 2 quadrillions de dollars qui menace de faire s’effondrer l’économie mondiale.

Tout le monde peut me contacter pour des questions à l’adresse suivante : info@TheGreatTakingReport.com

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