Conscience historique : Ce que l'Allemagne pourrait apprendre de la Russie
2 mai 1945, toit du bâtiment du Reichstag à Berlin. Photographe : Jewgeni (Evgueni) Khaldeï, agence de presse TASS.

Conscience historique : Ce que l'Allemagne pourrait apprendre de la Russie

Il y a de bonnes raisons pour lesquelles l'Allemagne est sur la mauvaise voie. Un manque de conscience historique, ou plutôt une conscience erronée, est l'une des principales raisons, et c'est un sujet dont on discute à contrecœur en Allemagne. Article basé sur le discours de Peter Hanseler à « Mut zur Ethik » (Courage pour l'Éthique).
Peter Hänseler
sam. 20 sept. 2025 194 1

Introduction

Peter Hanseler a été invité à s'exprimer sur le thème « Ce que l'Allemagne pourrait apprendre de la Russie » lors de la conférence « Courage pour l'Éthique », qui s'est tenue du 29 au 31 août à Sirnach, en Suisse. Cet article est basé sur ce discours.

Le groupe de travail européen « Mut zur Ethik » (Courage pour l'Éthique) est un forum international qui organise une grande conférence annuelle en Suisse depuis le début des années 1990. Il se considère comme un cercle de personnalités issues de divers pays européens (et au-delà) qui s'engagent en faveur d'une éthique centrée sur l'humain et fondée sur des valeurs. Il accorde une importance particulière à ne pas suivre les tendances idéologiques dans les domaines social, politique, économique et éducatif, mais plutôt à s'orienter vers une « éthique objective ».

Cela dépend à qui vous posez la question

Si vous demandiez à Friedrich Merz ce que nous pourrions apprendre des Russes, sa réponse serait sûrement : « Rien ! » Le chancelier allemand est tellement convaincu de lui-même qu’il ne remarque même pas la spirale descendante de ce pays autrefois grand, terre de poètes et de penseurs, qui était encore il y a quelques années le premier exportateur mondial. Taux de satisfaction de ce petit bonhomme : seuls 21 % des Allemands sont satisfaits de Merz.

Et c’est reparti — un petit garçon avec 21 % d’opinions favorables est en train de précipiter l’Allemagne dans le mur.

C’est le signe que ce nain intellectuel dans un grand corps se prend pour un nouveau dirigeant — car un véritable dirigeant, lui, ne se soucie pas des taux de popularité. Récemment, cette phrase est sortie de la bouche de ce chancelier — difficile à croire :

"Il existe une peur profondément ancrée de la guerre au sein d’une partie de notre population. Je ne la partage pas, mais je peux la comprendre."
Friedrich Merz

"Le peuple allemand dort debout."

Lorsque j’ai évoqué ce sujet avec des amis allemands, l’atmosphère était morose. Car, en plus des politiciens insensés — une tradition bien ancrée en Allemagne —, le peuple semble manifestement incapable, ou peu disposé, à reconnaître une fois de plus la situation précaire dans laquelle il se trouve. Pourtant, l’un de mes plus proches amis a réussi à faire rire tout le monde avec ce bon mot :

Ceux qui ne tirent pas les leçons du passé sont condamnés à le revivre

Si vous ne portez pas un regard honnête et critique sur votre histoire, vous continuerez à commettre les mêmes erreurs. Contrairement à ce que disait Mark Twain, l’histoire ne rime pas avec ce genre de comportement — elle se répète. D’ailleurs, cela vaut non seulement pour les pays, mais aussi pour les individus. Nous faisons tous des erreurs, et beaucoup en tirent des leçons ; les imbéciles, eux, n’en tirent jamais — ils reproduisent sans cesse les mêmes fautes. On peut reconnaître de tels schémas répétitifs chez soi — et encore plus souvent chez les autres. Le fameux regard dans le miroir est donc un outil qui est (ou pourrait être) tout aussi précieux dans la vie privée qu’en géopolitique.

La conscience historique commence par le langage

J’utilise le terme de « conscience historique » car je le considère comme le meilleur antidote contre la répétition des catastrophes. Mais cette conscience exige une bonne dose de scepticisme face à sa propre histoire — et, en la matière, les Russes sont déjà champions du monde. Les Russes ne croient rien de ce qu’on leur dit, que ce soit dans les livres d’histoire, les médias ou les discours des gouvernements — y compris le leur. Ils ont cette capacité naturelle à tout remettre en question, y compris leur propre historiographie. Cela engendre des discussions, et plus ces discussions accueillent de points de vue divergents, plus leurs résultats sont sains. Ce qui m’importe, ce n’est pas que, par exemple, un collègue voie Staline comme un personnage positif ou négatif après avoir pesé tous les facteurs ; ce qui compte, c’est que le simple fait de débattre réduise clairement les risques de voir se reproduire de futurs événements négatifs.

Les gens ne sont pas des monstres — ce serait trop simple

Il est très commode, trop commode même, de classer Adolf Hitler et Joseph Staline parmi les pires figures de l’histoire et de les reléguer dans une catégorie à part, celle des « monstres ». Car on n’a pas besoin de dialoguer avec des monstres — mais on doit dialoguer avec des êtres humains. Or ces deux figures historiques étaient bel et bien des êtres humains, et leur influence a marqué durablement non seulement leurs pays respectifs, mais le monde entier. Il est donc nécessaire de se confronter à eux pour les comprendre, si l’on veut éviter que l’histoire ne se répète.

En Russie, Joseph Staline n’est pas considéré comme un monstre, mais comme une figure historique majeure qui a profondément façonné le pays. Il demeure extrêmement controversé, et les opinions comme les réactions à son égard sont souvent contradictoires. Mais cette capacité à débattre sans parti pris, même de sujets aussi douloureux et émotionnellement chargés, grâce à un scepticisme profondément ancré, permet aux Russes d’aborder les questions sensibles de leur histoire avec respect, dignité et un véritable sens de la mémoire historique.

L’arrière-arrière-tante de mon ex-femme, par exemple, fut condamnée par Staline dans les années 1930 à quinze ans de camp de travail en Sibérie pour une faute dérisoire. Elle a survécu à cet enfer et a réintégré la société. Lorsque Staline est mort quelques années plus tard, elle a pleuré sa disparition à chaudes larmes. Pour nous, Occidentaux, ce comportement semble contradictoire : il surprend, et révèle à quel point le positif et le négatif peuvent coexister chez une même personne.

Un côté incarne une brutalité presque sans limites. L’autre reflète les grandes réussites de Staline. Deux d’entre elles se distinguent particulièrement : Staline fut l’artisan de l’industrialisation fulgurante de l’Union soviétique, qu’il mena avec une lucidité et une précision d’analyse presque effrayantes.

Par ailleurs, sa direction pendant la Seconde Guerre mondiale transforma une défaite quasi certaine en victoire : il sut unir la population, la pousser à des efforts surhumains et — contrairement à Hitler — laisser les bons chefs militaires prendre les décisions. La victoire coûta extrêmement cher, mais elle fut remportée.

Pour un Occidental, ces réussites indéniables sont difficiles à concevoir face aux montagnes de cadavres qu’elles ont laissées derrière elles. Pourtant, le débat passionné et souvent pénible qui entoure Staline en Russie rend sans doute impossible la répétition des horreurs de son règne.

En Allemagne, la discussion sur Hitler n’a jamais dépassé le stade de sa diabolisation. Il était plus simple de balayer ce « monstre » sous le tapis et d’aplanir tout ce qui s’y rattachait. Si l’Obersalzberg et la chancellerie du Reich existaient encore, les Allemands prendraient conscience de la mégalomanie de Hitler — qui n’avait rien à voir avec une quelconque proximité avec le peuple.

Le bureau de Hitler à la chancellerie du Reich — fastueux.

L’année dernière, j’ai visité la datcha de Staline à Sotchi et j’ai été surpris par la simplicité de ses appartements. Ses bureaux au Kremlin de Moscou n’avaient eux non plus rien d’ostentatoire.

Le bureau dans la datcha de Staline à Sotchi.
Le bureau de Staline au Kremlin en 1941 — image extraite d’une vidéo.

Jusqu’en mai 1945, les Allemands furent trompés par Joseph Goebbels — puis par d’autres. Nous allons à présent examiner, à travers quelques exemples, comment ces mensonges ont complètement détruit la compréhension qu’ont les Allemands de leur propre histoire.

Après les nazis, les États-Unis avaient besoin d’un nouvel ennemi

La guerre est une affaire extrêmement lucrative — pour quelques-uns

Le citoyen moyen perçoit la guerre à travers le prisme des masses : destruction, mort et privations. Les élites financières d’un pays, elles, y voient tout autre chose. La guerre est un gigantesque marché, et les sommes englouties dans les biens et services liés à l’armement sont astronomiques — avec, pour ceux qui en profitent, des marges bénéficiaires célestes. Lorsque, en 1943, il devint évident que l’Allemagne allait perdre la guerre, les élites financières américaines commencèrent déjà à craindre que le retour de la paix ne tarisse la manne colossale des contrats d’armement dont elles jouissaient. Ces élites n’étaient pas seulement immensément riches ; elles disposaient aussi d’une influence politique considérable. Car pour vendre des armes, il ne suffit pas de les fabriquer : il faut aussi disposer des leviers d’influence nécessaires, que ce soit par le lobbying ou par la corruption. C’est ainsi qu’est né ce que l’on appellera plus tard le complexe militaro-industriel.

Roosevelt voulait une paix durable — d’autres non

Roosevelt et Staline entretenaient une relation de travail constructive. Que Roosevelt ait surnommé Staline « Oncle Joe » relevait sans doute de la pure propagande, mais leurs rapports géopolitiques étaient bons, car Staline tenait parole : il était un allié fiable. Par ailleurs, ce furent les Russes qui portèrent l’essentiel du poids de la guerre contre Hitler. Roosevelt aspirait à une paix durable après le conflit. Pour lui, un second traité de Versailles était hors de question : il souhaitait reconstruire à la fois l’Allemagne et l’Union soviétique, et leur fournir une aide équivalente. Tels étaient les plans de Roosevelt.

Mais la paix ne constitue pas un bon modèle économique pour le complexe militaro-industriel. Or, la santé de Roosevelt étant déjà très fragile en 1944, on supposait à juste titre qu’il serait réélu, mais qu’il ne survivrait pas jusqu’à la fin de son quatrième mandat. Il fallait donc lui trouver un vice-président « docile » — une marionnette. Cette marionnette fut trouvée en la personne de Harry S. Truman. Restait un obstacle majeur : écarter le vice-président en fonction, Henry Wallace, homme très populaire, progressiste et farouchement attaché à la paix, qui aurait poursuivi la stratégie de Roosevelt — et donc fait obstacle aux ambitions du complexe militaro-industriel. Cette opération finit par réussir, au prix de manœuvres d’une rare absence de scrupules. Roosevelt fut soumis à de fortes pressions. Bien que Henry Wallace eût toutes les chances de l’emporter, c’est Truman qui « remporta » la « sélection ».

La guerre l’emporte sur la paix – à gauche : Henry Wallace voulait la paix – à droite : Harry S. Truman – le premier pantin du complexe militaro-industriel

Cette « élection », qui n’en était pas vraiment une, a été brillamment présentée et analysée par Oliver Stone dans sa remarquable série The Untold History of the United States (2012), notamment dans le troisième épisode. Ce documentaire, produit par Showtime et initialement disponible sur Netflix, a depuis été banni des grandes plateformes de streaming : la vision de l’histoire des États-Unis qu’y propose Oliver Stone est jugée trop poignante, trop dérangeante — et surtout trop honnête. Il ne faudrait surtout pas que le public soit confronté à cette vérité. Je recommande vivement à chaque lecteur de regarder cette série. Si vous interrogez aujourd’hui Internet à propos de cette « élection », l’intelligence artificielle continuera de vous affirmer qu’il s’agissait du bon choix. C’est le signe que cette mascarade, survenue il y a 80 ans, a eu un impact durable sur l’histoire du monde — et qu’il semble encore essentiel, pour ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui, de maintenir cette vérité sous silence.

D’alliée à ennemie en un clin d’œil

Pendant la guerre, la Russie était célébrée comme une grande amie et alliée, avec des réalisateurs de renom tels que Frank Capra qui réalisaient des films de propagande. Je fais notamment référence au cinquième volet de la série américaine de films de propagande Why We Fight, intitulé The Battle of Russia.

Affiche du film « La Bataille de Russie »

Du jour au lendemain, pourtant, la Russie redevint l’ennemie après la guerre. Le général Patton proposa d’attaquer l’URSS, et peu de temps après commença aux États-Unis la chasse aux communistes, où il suffisait d’étiqueter quelqu’un comme « communiste » pour le détruire. Cette persécution inhumaine n’a rien à envier aux chasses aux sorcières du Moyen Âge.

"Malgré cette trahison de l’Union soviétique, la Russie continue d’adresser des paroles diplomatiques et amicales aux États-Unis, ce qui demeure en soi remarquable."

Nous avons montré à quel point le rôle de la Russie dans la Seconde Guerre mondiale est aujourd’hui déformé dans un article publié à l’occasion des célébrations du 9 mai, où nous avons opposé les mensonges de Keir Starmer et de Joe Biden aux déclarations de Winston Churchill et de Franklin D. Roosevelt, dans l’article intitulé « Propagande occidentale sans limites : démasquée ».

Pour moi, ce revirement — cette trahison d’alors, qui se poursuit encore aujourd’hui — envers le peuple qui a sauvé le monde du nazisme, reste difficile à accepter. Les Américains doivent assumer le reproche d’avoir, à maintes reprises, trahi les Russes au fil des décennies, et d’être également responsables, sans aucune réserve, du conflit militaire en Ukraine. Nous avons détaillé notre position à ce sujet, notamment récemment dans notre article « Trump-Poutine : un accord, Yalta ou pas d’accord ». Malgré cette trahison de l’Union soviétique, la Russie continue d’adresser des paroles diplomatiques et amicales aux États-Unis, ce qui demeure en soi remarquable.

D’ennemis à amis du jour au lendemain

En plus d’un nouvel ennemi, qui remplissait les coffres du complexe militaro-industriel grâce au réarmement permanent, il fallait aussi un contrepoids sous la forme d’un nouveau « ami » et allié. L’Allemagne s’imposa comme le choix évident : la destruction massive du pays promettait d’énormes investissements pour sa reconstruction et donc des profits considérables. De plus, les États-Unis pouvaient se présenter comme des bienfaiteurs nobles et généreux en lançant, entre autres, le plan Marshall peu après la guerre — présenté comme l’hymne de la nouvelle amitié américano-allemande.

Il y avait toutefois un petit détail peu reluisant dans ce tableau : les Allemands n’étaient pas seulement responsables de l’Holocauste contre les Juifs, mais s’étaient également comportés de façon épouvantable envers les civils de tous les pays occupés — en particulier en Union soviétique, où les Allemands avaient massacré pas moins de 15 millions de civils. Les nazis avaient ainsi accompli la moitié de l’objectif fixé par le Generalplan Ost, qui prévoyait d’exterminer ou d’affamer 30 millions de personnes.

Cependant, les Américains, pragmatiques, en vinrent à la conclusion que nombre de ces criminels étaient parfaitement adaptés pour contribuer à la nouvelle « bonne cause ». En plus d’opérations comme « Paperclip », qui amena des scientifiques nazis aux États-Unis, des milliers d’anciens nazis furent réintégrés dans la société allemande. Quelques années après la guerre, on les retrouvait dans le gouvernement, les services secrets, les universités et les grandes entreprises. Ce fait était pour le moins stupéfiant, sachant que pendant des années les nazis avaient — à juste titre — été présentés comme de graves criminels qui méritaient le peloton d’exécution.

Les Américains n’ont décidément rien à apprendre en matière de marketing. Voici quelques exemples de la manière dont ils ont rendu acceptable aux yeux du monde le contraire de la vérité, privant ainsi les Allemands de leur conscience historique.

Nous n’avions rien à voir avec tout ça

Les Allemands deviennent des victimes

D’abord, un grand spectacle d’expiation fut mis en scène à l’intention de l’Occident en pendant quelques nazis symboliques lors des procès de Nuremberg (ou plutôt ce « festival » de Nuremberg). Peu après, le vent tourna. Les Russes furent par exemple présentés comme des violeurs de femmes allemandes. Il est vrai que des femmes allemandes ont été violées par des soldats russes — et, d’ailleurs, aussi par d’autres soldats alliés. Mais, à la différence de l’Allemagne et du Japon, qui encourageaient ou même ordonnaient le viol et le meurtre de civils dans les territoires occupés, les incidents impliquant des soldats russes furent, statistiquement parlant, des cas isolés.

Cela s’explique aussi par le fait que, le 19 janvier 1945, Staline publia un ordre concernant le comportement de ses soldats dans les territoires occupés, qui ne pouvait être plus clair :

"Officiers et soldats de l’Armée rouge ! Nous entrons en territoire ennemi. Chacun doit faire preuve de maîtrise de soi, chacun doit être courageux… La population restée dans les territoires conquis, qu’elle soit allemande, tchèque ou polonaise, ne doit subir aucune violence. Les coupables seront punis selon les lois de la guerre. Les relations sexuelles avec des femmes sont interdites dans les territoires conquis. Les coupables de violences ou de viols seront fusillés."
Ordre de Staline, 19 janvier 1945

On affirme qu’environ 100 000 femmes auraient été violées par des soldats soviétiques. Ce chiffre provient, soit dit en passant, d’un médecin de l’hôpital de la Charité à Berlin et n’est en rien étayé : il a extrapolé les cas recensés dans sa clinique à l’ensemble de l’Allemagne. Nous utiliserons toutefois ce chiffre dans les considérations qui suivent.

Il y avait environ 10 millions de soldats soviétiques en Allemagne. Statistiquement, cela reviendrait à dire qu’un soldat soviétique sur cent aurait commis un viol — mais ce chiffre est lui aussi trompeur. Les violeurs sont des récidivistes. Si l’on suppose qu’un violeur a violé 10 femmes, alors 99,9 % des soldats soviétiques se sont comportés correctement envers les femmes allemandes. En comparaison, 15 millions de citoyens soviétiques furent tués par environ 3 millions de soldats allemands. Statistiquement, chaque soldat allemand a donc tué 5 citoyens soviétiques. Voilà pour la proportion. Il ne s’agit évidemment pas ici de relativiser les viols, qui furent une tragédie sans équivalent et un acte inexcusable.

Les 100 000 femmes violées demeurent, bien sûr, un sujet majeur dans la presse allemande actuelle. En revanche, les 15 millions de morts civils ne sont presque jamais mentionnés. La propagande venimeuse amorcée il y a 80 ans se poursuit sans relâche — aujourd’hui pour préparer la prochaine guerre contre la Russie.

Presque tous les bouchers des Einsatzgruppen s’en sont sortis

Avant que les Juifs ne soient assassinés de manière industrielle dans les camps de concentration et d’extermination, quatre soi-disant Einsatzgruppen (groupes d’intervention) furent mis en place. Ces unités, composées de 400 à 1 000 soldats, avaient pour mission, entre 1941 et 1943, d’exterminer systématiquement non seulement les Juifs mais aussi tous les prétendus « sous-hommes », dont des civils russes, dans les territoires conquis de l’Union soviétique.

Ces unités, constituées en grande partie de soldats ordinaires, massacrèrent environ un million de personnes, y compris des femmes, des enfants et des personnes âgées. On sait aujourd’hui que le prétexte d’« obéissance aux ordres », invoqué régulièrement par les auteurs de ces crimes, ne résiste pas à l’examen : chaque soldat avait la possibilité de refuser de participer à ces actions, et ceux qui refusaient n’étaient pas sanctionnés. Beaucoup, bien qu’ils aient trouvé cette tâche répugnante, y prirent néanmoins part, prétendant l’avoir fait par sens du devoir et par loyauté envers leurs camarades.

Otto Ohlendorf dirigeait l’un de ces groupes — rattaché, soit dit en passant, à l’armée de Manstein (nous y reviendrons) — et, le 6 janvier 1946, en tant que témoin à charge lors du procès principal de Nuremberg, il décrivit son travail avec froideur et sincérité.

Lors du procès séparé des Einsatzgruppen qui suivit, les verdicts furent unanimes : les 24 accusés furent tous reconnus coupables.

Otto Ohlendorf plaide « non coupable », source: ICC Legal Tools Database

Quatorze d’entre eux furent condamnés à mort, deux à la réclusion à perpétuité, et les autres à des peines de prison allant de 10 à 20 ans. Cependant, la sévérité apparemment exemplaire des peines prononcées lors du procès des Einsatzgruppen se dissipa bien vite : sur les quatorze condamnés à mort, seuls trois furent effectivement exécutés, dont Ohlendorf. Tous les autres condamnés furent libérés entre 1951 et 1958.

Manstein – Présenté comme un héros, pourtant criminel de guerre

Erich von Manstein est encore aujourd’hui célébré dans le monde entier comme un génie tactique. Il est vrai que Manstein fut un général exceptionnel. On lui attribue la stratégie allemande ingénieuse de la campagne de 1940 en France, lorsque les Allemands lancèrent une attaque surprise à travers les Ardennes, prenant ainsi complètement les Français de court. Ses succès à Sébastopol en 1941/1942 et à Kharkov en 1943 sont également souvent cités. Son statut de général « héroïque » influença même les dirigeants alliés : lorsque Manstein fut jugé après la guerre, Winston Churchill lui apporta un soutien financier pour couvrir ses frais de défense. Pourtant, Manstein était — comme tous les généraux allemands de première ligne — un criminel de guerre notoire.

Criminel de guerre présenté comme un héros et qui a contribué à bâtir les forces armées allemandes actuelles – Erich von Manstein

Dr. Ohlendorf testified to this effect: The task forces were not only assigned to the army groups, but also subordinate to them. Officers from the slaughter groups were assigned to Manstein's command group to coordinate the slaughter with the officers. In his testimony, Ohlendorf stated, among other things, that Manstein's command gave the order to carry out the “actions” at least 200 km away from the Wehrmacht. Thus, no questions remained unanswered. Von Manstein not only knew about the genocide, but also coordinated it with the SS. Although von Manstein was sentenced to 18 years in prison, he only served a short time and was released to write two bestsellers, Lost Victories (1955) and From a Soldier's Life (1958). I read part of Lost Victories: a whitewashing of his own achievements, in which all mistakes were blamed on the deceased Hitler and his arch-enemy Halder, omitting the genocide of the Russians that he coordinated. A nasty but convenient distortion of the facts.

Le Dr Ohlendorf en a témoigné : les groupes d’intervention (Einsatzgruppen) n’étaient pas seulement rattachés aux groupes d’armées, mais également placés sous leur autorité. Des officiers issus de ces groupes d’extermination étaient intégrés à l’état-major de Manstein pour coordonner les massacres avec les officiers. Dans son témoignage, Ohlendorf a notamment déclaré que le commandement de Manstein avait donné l’ordre d’exécuter les « actions » à au moins 200 km des troupes de la Wehrmacht. Ainsi, aucun doute ne subsiste : von Manstein non seulement était au courant du génocide, mais il l’a également coordonné avec la SS. Bien que von Manstein ait été condamné à 18 ans de prison, il n’en purgea qu’une courte peine avant d’être libéré et d’écrire deux best-sellers : Victoires perdues (1955) et Une vie de soldat (1958). J’ai lu une partie de Victoires perdues : un blanchiment de ses propres actions, où toutes les erreurs sont attribuées au défunt Hitler et à son ennemi juré Halder, tout en passant sous silence le génocide des Russes qu’il a pourtant coordonné. Une falsification des faits, ignoble mais commode.

Je tiens à souligner que ces exemples ont été sélectionnés parmi des centaines, voire des milliers d’éléments tout aussi compromettants, afin d’illustrer à quel point l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et des périodes qui ont suivi a été si profondément déformée que les mensonges sont devenus des faits et les faits sont devenus des mensonges.

Franz Halder – 15 millions de civils russes sur la conscience

L’une des figures les plus sordides du Troisième Reich fut Franz Halder, chef de l’état-major de l’armée de 1938 à 1942. Il fut étroitement impliqué dans les plans de conquête de la Russie et donc dans le génocide, et aurait sans aucun doute mérité d’être exécuté après la guerre.

Franz Halder – au lieu d’être exécuté, il a été engagé par les Américains pour construire un tissu de mensonges qui perdure encore aujourd’hui.

Son service a rendu possible le génocide de la population civile russe : le « décret sur les commissaires » du 6 juin 1941, relativement connu du grand public, obligeait l’armée allemande de l’Est à isoler tous les officiers politiques capturés de l’Armée rouge et à les exécuter sur-le-champ. Mais le « décret sur la juridiction de guerre » du 13 mai 1941 constituait, lui, un véritable laissez-passer pour permettre à tous les membres des forces armées allemandes de massacrer la population soviétique.

Cet ordre fut central dans le génocide à plusieurs égards :

Premièrement, il ne fut pas émis par Heinrich Himmler, chef de la SS. C’est un point crucial, car depuis la Seconde Guerre mondiale, on tente régulièrement de faire porter la responsabilité du génocide et des crimes de guerre uniquement à la SS pour blanchir la Wehrmacht. Or cet ordre émanait de Wilhelm Keitel, chef du Haut Commandement de la Wehrmacht, et s’adressait donc à la Wehrmacht — et non à la SS.

Deuxièmement, cet ordre retirait toute compétence aux tribunaux militaires et cours martiales pour juger les meurtres commis.

Troisièmement, il prescrivait des mesures collectives de violence contre toute localité opposant une résistance — ce qui, en pratique, concernait presque toutes les localités attaquées —, c’est-à-dire un génocide.

Quatrièmement, les membres des forces armées qui participaient à ce génocide ne pouvaient être poursuivis, comme le stipulait la formule suivante : « Il n’existe aucune obligation de poursuivre les actes commis par des membres de la Wehrmacht ou leurs auxiliaires contre des civils ennemis, même si ces actes constituent aussi un crime ou un délit militaire. »

D’un point de vue quantitatif, Halder fut ainsi pire que Reinhard Heydrich, par exemple, et aurait mérité le sort le plus sévère. Ce fut l’inverse : il fut nommé par les États-Unis à la tête de la section allemande du War History Research Group (Operational History (German) Section) de l’armée américaine et chargé d’écrire l’histoire de la campagne de l’Est. Halder enjoliva cette campagne nazie en la présentant comme une attaque préventive et fut l’architecte du mythe de la « Wehrmacht propre » — un récit totalement contredit par les faits, mais encore profondément ancré dans les esprits allemands aujourd’hui, selon la logique : « SS méchants, Wehrmacht innocente ».

La mort de Hitler et de Bormann — où est passé tout l’argent ?

À ce stade, j’aimerais utiliser deux exemples pour montrer à quel point les versions officielles concernant le sort de deux des figures les plus en vue de l’Allemagne nazie reposent sur des bases fragiles. Les remarques qui suivent visent simplement à montrer que l’historiographie officielle peut aussi être erronée sur des points essentiels. Le fait que les théories suivantes soient immédiatement qualifiées de « théories du complot » par les gardiens de l’histoire officielle suffit à suggérer qu’elles contiennent peut-être un fond de vérité.

La mort d’Adolf Hitler

Adolf Hitler serait officiellement mort le 30 avril 1945 par suicide dans le bunker du Führer à Berlin. Beaucoup a été écrit et de nombreux films ont été tournés à ce sujet — probablement aussi pour clore ce chapitre, car ces livres et ces films donnent l’impression d’une certitude absolue. Des théories ont toujours circulé selon lesquelles Hitler aurait survécu, mais elles ont été systématiquement rejetées comme des théories du complot. Une de ces histoires, pourtant, a été étudiée de manière très détaillée — tout en étant elle aussi étiquetée « théorie du complot » : en 2011, l’écrivain britannique Simon Dunstan et le journaliste Gerard Williams ont publié le livre The Grey Wolf, adapté en docudrame en 2014. Selon ce récit, Hitler aurait fui en Argentine et y serait mort en 1962. J’ai lu le livre et vu le documentaire : tous deux sont captivants et crédibles. Je ne sais pas si cette histoire est vraie. Mais ce qui surprend, c’est qu’aucune université n’ait pris la peine d’enquêter sérieusement sur cette hypothèse.

La mort de Martin Bormann

La mort de Martin Bormann est elle aussi entourée de légendes. Officiellement, il serait mort le 2 mai 1945 en tentant de fuir le bunker du Führer. En 1972, son crâne aurait été retrouvé. Mais trois problèmes majeurs subsistent : d’abord, le crâne n’a pas été découvert à l’endroit même où les témoins affirmaient qu’il était mort. Ensuite, des traces de terre retrouvées sur le crâne ne proviennent pas de Berlin, mais du Paraguay. Enfin, l’une des dents portait des marques d’un traitement dentaire qui n’existait pas en 1945. Pourtant, toute théorie suggérant que Bormann aurait survécu est rejetée comme une « théorie du complot ».

Je n’ai jamais étudié ces histoires en profondeur. Mais l’expérience m’a appris à me méfier de « l’opinion officielle ». Le fait est qu’après la guerre, des milliers de nazis ont fui en Amérique du Sud et y ont vécu en grande partie tranquilles — les rares exceptions qui confirment la règle étant Adolf Eichmann, Klaus Barbie et Erich Priebke, qui furent punis avec beaucoup de mise en scène en tant que nazis symboliques, mais cela s’arrête là.

Où est passé tout l’argent ?

Aucune enquête sérieuse n’a jamais été menée sur le sort des immenses fortunes transférées hors d’Allemagne à partir de 1943. On raconte que Bormann, qui était entre autres le trésorier de Hitler, aurait utilisé tous les moyens possibles pour envoyer à l’étranger d’énormes sommes en or, en devises et en brevets à partir de cette année-là.

L’historien britannique Mark Felton, qui tient une chaîne YouTube à grand succès, a montré dans une vidéo (Himmler’s Fourth Reich – SS Assets in Global Conspiracy) que la SS était devenue immensément riche, notamment grâce à l’exploitation de centaines de camps de concentration, et qu’elle avait placé stratégiquement ses hommes dans les conseils de surveillance de grandes entreprises allemandes, prenant ainsi un contrôle effectif sur elles. Le 10 août 1944, une réunion eut lieu à l’hôtel Maison Rouge à Strasbourg. Lors de cette rencontre, à laquelle participaient de grands industriels, on discuta des « activités souterraines » à mener après la chute du Troisième Reich et du transfert de capitaux vers des pays neutres.

On n’a jamais élucidé la nature exacte de ces flux financiers, ni comment ces sommes colossales sont revenues après la guerre, ni qui en est (ou en fut) le propriétaire. En termes simples : qui possédait la « Deutschland AG » ? Jusqu’au début des années 1990, elle regroupait notamment Deutsche Bank, Allianz, MAN, VEBY, VIAG, Thyssen Krupp, Klöckner Werke, Ruhrkohle, Daimler-Benz, VW, Preussag, Hoesch, Ruhrgas, Mannesmann, BASF, etc. Toutes ces entreprises — ou leurs prédécesseurs — existaient déjà à l’époque nazie.

On peut raisonnablement supposer qu’il existe aujourd’hui de très puissants intérêts qui n’ont aucun désir de voir ces questions élucidées : trop de détails compromettants referaient surface. Il est même très possible que ces actifs soient désormais détenus, directement ou indirectement, par les grands conglomérats financiers actuels comme BlackRock et d’autres, qui garantissent un niveau d’opacité impénétrable — mission accomplie.

Conclusion

« La Russie restera toujours notre ennemie » (Wadephul), « Poutine est un criminel de guerre. Il est peut-être le plus grave criminel de guerre de notre temps, que nous voyons actuellement à grande échelle » (Merz). Il n’existe pourtant aucun pays dans l’histoire du monde qui se soit comporté aussi cruellement envers un autre que l’Allemagne envers la Russie — et ces atrocités ne datent pas de siècles, mais de quelques décennies seulement.

Indépendamment du fait que Merz se disqualifie ainsi totalement non seulement comme chancelier potentiel mais aussi comme être humain, il démontre que l’Allemagne n’a aucune compréhension de son histoire. Contrairement à la Russie, l’Allemagne n’a pas entrepris — et n’entreprend toujours pas — de véritable travail de mémoire : interroger son passé et en tirer des leçons pour l’avenir. L’histoire y est présentée de manière si malhonnête que plus personne n’a la force ni la volonté de mettre de l’ordre dans ce chaos. Cette malhonnêteté a été, semble-t-il, acceptée par les Allemands — d’abord sous Hitler, puis sous le nouveau régime, contrôlé et façonné par les États-Unis. Sous Hitler, on a sacrifié le bien-être des Juifs et des civils dans les territoires occupés ; sous le nouveau gouvernement, on a sacrifié l’histoire elle-même — dans les deux cas, au nom du progrès économique : un mensonge vital, un pacte avec le diable.

Cette combinaison d’influences dévastatrices — absence de compréhension historique et pacte avec le diable — mènera inévitablement à la répétition de l’Histoire. Si vous êtes allemand et que vous partagez ce constat, il est temps de vous lever.

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