Conférence sur la sécurité à Minsk : donnons une chance aux pragmatiques !
Réunion internationale de premier plan — ici, la première séance de travail

Conférence sur la sécurité à Minsk : donnons une chance aux pragmatiques !

La Conférence internationale sur la sécurité eurasiatique à Minsk n’a pas la notoriété de la Conférence de Munich sur la sécurité, ni l’attention médiatique dont jouit son équivalent bavarois. Pourtant, elle se tient dans un lieu chargé d’histoire : la capitale biélorusse, où furent signés les accords de Minsk censés mettre fin au conflit en Ukraine. Si cet objectif n’a jamais été atteint, c’est sans doute en partie à cause de certains des participants… précisément de la Conférence de Munich.
jeu. 20 nov. 2025 938 2

Cela n’est pas une raison pour renoncer : « Quiconque rompt les négociations enterre l’espoir de paix », a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, dans son discours d’ouverture de la conférence à Minsk. La participation record de délégués de 48 pays donne des raisons d'être confiant qu'au moins l'Eurasie apportera une certaine structure au désordre mondial actuel (1). Les expériences historiques de la Hongrie jouent également un rôle à cet égard. Szijjártó a rappelé que son pays avait perdu environ deux tiers de son territoire et de sa population au cours des deux guerres mondiales, et que le peuple hongrois avait perdu près de 40 ans de sa vie avant que les conditions ne redeviennent vivables. Dans ce qui est probablement la situation sécuritaire la plus critique depuis la Seconde Guerre mondiale, lui et la diplomatie eurasienne méritent une chance : ils ne feront certainement pas pire que leurs collègues de Munich.

Outre le pays hôte, la Biélorussie, la Hongrie, la Russie, le Myanmar et la Corée du Nord étaient également représentés à un haut niveau par leurs ministres des Affaires étrangères. La Chine était représentée par son envoyé spécial pour les affaires eurasiennes, tandis que l’Iran, l’Inde et le Tadjikistan étaient représentés par leurs vice-ministres des Affaires étrangères. La présence de Nino Burjanadze, qui a exercé à deux reprises la fonction de présidente par intérim de la Géorgie, était également intéressante. Par ailleurs, les secrétaires généraux d’organisations internationales importantes telles que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et la Conférence sur l’interaction et les mesures de confiance en Eurasie (CICA) étaient présents. Au niveau des ambassadeurs, la Suisse, le Pakistan et la Slovaquie, entre autres, étaient représentés. Cependant, la Conférence de sécurité de Minsk était avant tout une rencontre d’experts indépendants, d’enseignants universitaires et de diplomates. Outre de nombreux instituts et think tanks venus de l’espace post-soviétique et d’Asie, le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) et le Quincy Institute for Responsible Statecraft, basé aux États-Unis, représentaient l’Occident.

Grande importance

Après tout, les participants à la conférence représentent sans doute près de la moitié de la population mondiale, et cette région abrite à la fois la majorité des puissances nucléaires et certains des foyers de conflit les plus dangereux. Les représentants indiens, en particulier, ont montré leur assurance en saluant l’auditoire au nom d’un sixième de la population mondiale. Ils se considèrent également sur la voie rapide par rapport à l’UE, qui, il y a quelques années encore, était une économie extrêmement sûre et compétitive, fondée sur un haut niveau de technologie et une énergie bon marché — deux atouts qui ont radicalement changé ces dernières années (2). La question posée par Szijjártó — pourquoi Bruxelles croit-elle qu’après 19 paquets de sanctions inefficaces, le 20ᵉ apportera enfin le succès espéré — n’était donc pas dénuée de fondement.

Participants à la table ronde à Minsk ; à gauche, Aleksei Shevtsov, membre du Conseil national de sécurité russe ; à droite, le général Rajendra Singh Yadav, originaire d'Inde. Source : Ministère des Affaires étrangères du Bélarus

Les affirmations selon lesquelles la conférence ne contribuerait en rien à mettre fin à la guerre en Ukraine, largement diffusées l’an dernier par des militants particulièrement zélés de la lutte contre la désinformation, se retournent en réalité contre leurs auteurs : c’est en effet l’Europe occidentale qui devrait agir pour mettre un terme au conflit. Or, elle ne le fera pas tant que l’Ukraine sera encore en mesure de se défendre. Dans ce contexte, l’absence de représentants officiels de l’Europe occidentale à la Conférence de sécurité de Minsk est particulièrement révélatrice, et la persistance même du conflit en Ukraine témoigne de l’effondrement du système de sécurité euro-atlantique. Ce qui relève de la cause et ce qui relève de la conséquence reste un sujet de débat. Quoi qu’il en soit, les problèmes sous-jacents au conflit devront être traités indépendamment de cette question (4).

Voyage difficile

Les difficultés rencontrées par de nombreux participants occidentaux lors de leur trajet vers la conférence étaient révélatrices : les points de passage entre la Pologne et la Biélorussie étaient restés complètement fermés depuis les exercices militaires des deux côtés du nouveau « rideau de fer » en septembre. Une réouverture a été annoncée. Le passage frontalier entre la Lituanie et la Biélorussie est en principe ouvert, bien que la partie lituanienne mette tout en œuvre pour décourager les voyageurs de se rendre en Biélorussie. La veille de la conférence, l’aéroport de Vilnius et le point de passage de Kamenny Log ont été temporairement fermés, prétendument parce que des ballons venus de Biélorussie auraient pénétré dans l’espace aérien lituanien. Il était pratiquement impossible de vérifier cette information de manière indépendante ; la seule certitude est que le vent soufflait principalement du sud ces jours-là. La question de savoir pourquoi la Biélorussie rendrait si difficile l’accès aux experts et diplomates occidentaux, alors qu’elle attache tant d’importance à leur présence, est également restée sans réponse. Participer à ce type de conférences est toujours un enjeu politique, et les autorités biélorusses ont laissé entendre que c’était précisément la raison pour laquelle elles compliquaient l’accès aux participants occidentaux. La vérité est peut-être beaucoup plus banale : selon des policiers biélorusses, les contrebandiers utilisent volontiers des drones et des ballons pour leurs activités. Les circonstances de la guerre froide se sont inversées ces dernières années : aujourd’hui, c’est l’Occident qui rend les déplacements à travers le nouveau « rideau de fer » plus difficiles.

Alliance de pragmatiques

Les ministres des Affaires étrangères de Biélorussie et de Russie, Maxim Ryzhenkov et Sergey Lavrov, ont profité de l’occasion pour présenter leur charte commune pour la diversité et la multipolarité en Eurasie, qu’ils avaient rédigée et signée à la suite de la conférence de l’an dernier. Elle pourrait évoluer en un ensemble de règles pour la résolution des conflits dans la région eurasienne. La question de savoir si la Charte eurasienne finira par remplacer l’Acte final d’Helsinki de 1975 dépendra en grande partie du comportement des Européens occidentaux. Sun Linjiang, envoyé spécial de la Chine pour l’Eurasie, a clairement indiqué que les États eurasien ne se laisseront pas dicter leur conduite dans la résolution des conflits. Il n’a pas manqué de rappeler que le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États participants demeure un principe inviolable. Cela constitue une condition préalable pour que des États aux systèmes politiques très divers, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, puissent travailler ensemble. Dans l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), cet esprit de coopération a depuis longtemps disparu.

Sergey Lavrov a souligné qu’un groupe d’États eurasien émergerait en critiquant l’absence d’une structure continentale pan-eurasienne capable de se situer au-dessus des structures régionales existantes. Dans ce groupe, personne ne prendra d’ordres d’autrui. Il ne s’agira donc que d’une alliance informelle de pragmatiques. Pour l’instant, tout cela semble assez théorique, mais il est apparu clairement lors de la conférence que les gouvernements concernés souhaitent transformer ce concept en quelque chose de concret, avec des effets tangibles dans les domaines de la politique étrangère, de la diplomatie, de l’économie et des affaires militaires. Un événement parallèle correspondant, organisé par l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l’a clairement démontré. Toutefois, il ne faut pas s’attendre à la formation d’un « anti‑OTAN » offensif, car la Russie ne peut pas compter sur le soutien de ses partenaires eurasien pour une attaque contre l’Europe occidentale, si populaire dans les discussions occidentales actuelles. Le président biélorusse Alexander Lukashenko l’a rappelé dans son discours d’ouverture : son pays n’a aucun intérêt en Pologne ou en Lituanie et ne peut rivaliser militairement avec ses voisins, mais il infligerait des dommages inacceptables si quelqu’un agissait contre la Biélorussie. Il ne s’agissait pas d’une menace, mais d’une déclaration claire du « homme fort » de Minsk. Sera-t-elle entendue à Bruxelles ?

Une « ONU régionale » ?

Après les remarques d’ouverture des officiels, il était temps pour les think tanks occidentaux de prendre la parole. La déclaration du représentant du Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), affirmant qu’il fallait d’abord rétablir la confiance entre l’Occident et la Russie avant de pouvoir mettre fin à la guerre en Ukraine, semblait quelque peu académique, voire impuissante. Après des années de guerre de l’information, l’atmosphère est devenue si toxique que le simple fait de dialoguer avec l’autre camp est perçu comme une trahison, et il est peu probable que les décideurs occidentaux puissent se permettre d’être photographiés en train de serrer la main du supposé « diable ». L’affirmation du GCSP selon laquelle l’OSCE, forte de son expérience dans le suivi du cessez-le-feu en Ukraine, pourrait continuer à jouer un rôle important à l’avenir, restait elle aussi plutôt théorique. Si la Mission spéciale de suivi de l’OSCE a effectivement utilisé des moyens techniques innovants pour contrôler le cessez-le-feu de Minsk, ils étaient trop peu nombreux et sont arrivés trop tard (6).

Le concept avancé par le Quincy Institute, qui propose une sorte d’ONU eurasienne avec un organe analogue au Conseil de sécurité de l’ONU, composé d’un nombre égal de représentants de l’Ouest et de l’Est, paraît à peine plus réaliste. Un tel organe devrait également refléter les réalités actuelles de l’Eurasie. Plutôt que de créer une « ONU régionale » qui tenterait de résoudre les conflits par le pouvoir de ses membres permanents, il serait sans doute plus efficace d’identifier les zones à risque, de reconnaître les États intéressés par un règlement, d’anticiper les coalitions possibles, puis de commander une planification militaire de contingence. Une « ONU régionale » se révélerait probablement rapidement un mécanisme imparfait, à l’image de son modèle : comme le Conseil de sécurité de l’ONU, qui ne put fonctionner correctement au début de la guerre froide, car les différences idéologiques prirent le dessus une fois l’ennemi commun, les puissances de l’Axe, vaincu. En revanche, un organe fonctionnant comme un tribunal d’arbitrage, chargé d’évaluer les positions des parties à un conflit au regard du droit international, ne peut fonctionner que s’il est composé de pragmatiques, faute de quoi des influences étrangères aux problèmes réels entreraient en jeu. Sans tribunal d’arbitrage, toutes les délibérations d’un futur Conseil de sécurité eurasien se réduiraient à un simple jeu de pouvoir. Une alliance d’idéologues et de pragmatiques ne s’activerait probablement que lorsqu’un danger menacerait l’existence de tous. Les conflits plus limités, mais dangereux pour les parties concernées, deviendraient rapidement politisés dans un tel environnement et engendreraient des guerres par procuration, maintenant le continent dans une tension permanente — une dynamique que l’on connaît bien en Afrique.

Donner une chance aux bâtisseurs de ponts de Budapest

La question du sommet Trump-Poutine, provisoirement reporté, planait sur l’ensemble de la conférence. À Minsk, cependant, cela surprenait peu de monde. Les ministres des Affaires étrangères, et à plus forte raison les chefs de gouvernement et d’État, ne se rencontrent que lorsque le succès est garanti et qu’un accord est prêt à être signé. Nous en sommes probablement encore loin, car la complexité du conflit en Ukraine est largement sous-estimée. Les cris de guerre russophobes constants ne représentent rien d’autre qu’une capitulation intellectuelle. Un simple cessez-le-feu serait facile à obtenir, mais le Kremlin en veut davantage : un ensemble combinant cessez-le-feu et traité de paix, allant au-delà des trois accords de Minsk et incluant des garanties pour le respect du cessez-le-feu. C’est un projet ambitieux. L’Europe occidentale paie aujourd’hui le prix d’avoir privilégié pendant des années une approche exclusivement militaire. Si Paris, Berlin, Londres ou Bruxelles pouvaient désormais présenter une offre crédible, l’Europe pourrait reprendre le rôle de leadership qu’elle revendique depuis des années. Une telle offre devrait inclure des concessions de l’Europe occidentale sur la sécurité européenne, c’est-à-dire aborder la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, ainsi que la régulation du suivi d’un cessez-le-feu. L’action de l’OSCE via sa Mission spéciale de suivi était loin d’être suffisante.

Par ailleurs, Trump et Poutine ont déjà abordé des questions substantielles lors de conversations téléphoniques. Il serait tout à fait compréhensible que ce sommet soit pour l’instant traité de manière confidentielle entre les États-Unis et la Russie, et qu’il se tienne quelque part dans la région frontalière entre les deux pays, que ce soit dans l’Extrême-Orient russe — Vladivostok, peut-être — ou de nouveau en Alaska. La Maison-Blanche et le Kremlin ne devraient laisser aucun levier aux Européens occidentaux pour saboter la rencontre. Pauvre Europe — encore laissée de côté ! Szijjártó et le Premier ministre hongrois Orbán prendront cela avec philosophie : leur rôle de bâtisseurs de ponts entre l’Ouest et l’Est est incontesté.

Notes:

  1. Voir Lorenzo Maria Pacini : The Third Minsk International Conference on Eurasian Security charts the course for a multipolar continental strategy, The Telegraph, 01.11.2025, en ligne sur https://telegra.ph/The-Third-Minsk-International-Conference-on-Eurasian-Security-charts-the-course-for-a-multipolar-continental-strategy-11-01 et https://t.me/c/2220879823/651

  2. Reste à déterminer si les nouvelles taxes élevées sur les importations européennes aux États-Unis sont liées aux années de critiques de l’Occident envers Donald Trump ou au déficit élevé du commerce extérieur américain avec l’UE.

  3. Voir « Die Sicherheitskonferenz des Kremls in Minsk hat den Frieden nicht gefördert », EUvsDisinfo, 22.11.2024, en ligne sur https://euvsdisinfo.eu/de/die-sicherheitskonferenz-des-kremls-in-minsk-hat-den-frieden-nicht-gefoerdert/ Les auteurs se trompent également sur le lieu du Kremlin ou ont délibérément voulu offenser neuf millions de Biélorusses.

  4. Cela a été explicitement demandé par Sun Linjiang, envoyé spécial de la Chine pour l’Eurasie, dans son discours d’ouverture.

  5. Voir le site du ministère biélorusse des Affaires étrangères : https://mfa.gov.by/en/press/news_mfa/a7cd40e20e562b10.html

  6. L’auteur en a fait lui-même l’expérience en tant que Senior Planning Officer de la mission à l’automne 2014 et dans les années suivantes à un rôle de soutien.

  7. La guerre froide a commencé au plus tard avec l’annonce de la soi-disant doctrine Truman en mars 1947, présentée en réponse à la situation en Grèce. Voir « March 12, 1947: Announcement of the ‘Truman Doctrine’ », Federal Agency for Civic Education, 29 février 2024, en ligne sur https://www.bpb.de/kurz-knapp/hintergrund-aktuell/506079/12-maerz-1947-verkuendung-der-truman-doktrin/

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