L’UE sanctionne des journalistes allemands

L’UE sanctionne des journalistes allemands

L’UE sanctionne des journalistes allemands pour la première fois. La politique détourne l’État de droit. Beaucoup de confrères restent silencieux — après tout, ce ne sont pas eux qui sont visés. Analyse d’un cauchemar.
Peter Hänseler
dim. 25 mai 2025 12131 32

Exposé des faits

Le 20 mai 2025, le Conseil de l’Union européenne (DÉCISION DU CONSEIL (PESC) 2025/966) a imposé pour la première fois des sanctions à l’encontre de deux journalistes allemands : Alina Lipp et Thomas Röper. Cette décision a été signée par Kaja Kallas en tant que "Présidente du Conseil de l’Union européenne". Cela est surprenant, puisque António Costa occupe cette fonction depuis le 1er décembre 2024. Kaja Kallas est, quant à elle, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité depuis décembre 2024, et également vice-présidente de la Commission européenne.

La décision qualifie Lipp et Röper de « correspondants de guerre » et précise qu’ils sont de nationalité allemande. Dans ce qui suit, je limiterai l’analyse aux justifications avancées par l’UE concernant Thomas Röper, les accusations visant Alina Lipp étant pratiquement identiques. Cela permettra de ne pas dépasser le cadre de cet article.

Motifs invoqués par la bureaucratie européenne

Les sanctions contre Thomas Röper ont été justifiées comme suit :

Thomas Röper est un blogueur allemand. À travers son réseau de chaînes en ligne intitulé "Anti-Spiegel", il diffuse de manière systématique de la désinformation sur la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et s’efforce de délégitimer le gouvernement ukrainien, notamment en cherchant à manipuler l’opinion publique allemande quant au soutien à apporter à l’Ukraine.

Par ailleurs, il légitime l’annexion illégale de territoires ukrainiens par la Russie en se présentant comme "observateur" électoral et en participant à une campagne visant à promouvoir le référendum illégal organisé par la Russie sur la sécession des territoires ukrainiens occupés. En outre, il a agi comme porte-parole du gouvernement de la Fédération de Russie afin de relayer les récits de propagande russes, y compris lors de réunions en "formule Arria" aux Nations unies.

Thomas Röper participe donc à des activités de manipulation de l’information et d’ingérence, et contribue à faciliter un conflit armé dans un pays tiers.
DÉCISION (PESC) 2025/966 DU CONSEIL

Linguistiquement incorrect

La formulation est déjà problématique dès le premier paragraphe de la décision, où l’on peut lire : « [...] délégitime le gouvernement ukrainien, notamment dans le but de manipuler l’opinion publique allemande concernant le soutien à l’Ukraine. [...] ». Cette phrase est grammaticalement et logiquement incorrecte. Il ne s’agit pas d’une erreur de traduction, car le même charabia figure également dans la version allemande — à un niveau inférieur à celui de l’école primaire. Un indice révélateur de l’amateurisme avec lequel cette autorité fonctionne.

Diffusion de désinformation systématique ?

Je consulte sporadiquement le blog Anti-Spiegel de Thomas Röper ainsi que la chaîne Telegram News from Russia d’Alina Lipp, et je ne connais personnellement ni Mme Lipp ni M. Röper. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que la portée de leurs canaux est impressionnante.

Je n’ai jamais vu passer la moindre désinformation sur ces plateformes. De toute évidence, l’accusation de « désinformation systématique » avancée par l’UE ne repose sur rien de concret — et est très probablement fausse. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les opinions exprimées par Lipp et Röper ne cadrent absolument pas avec la ligne narrative de l’Union européenne.

Si vous cherchez réellement de la désinformation systématique, en tant que citoyen suisse, je vous recommanderais plutôt de lire le principal quotidien helvétique, la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Dans notre article « Prévenir dès les débuts ! – La propagande de la NZZ » publié en décembre 2022, nous avons analysé un éditorial du rédacteur en chef Eric Gujer et démontré que la NZZ diffusait bel et bien de la désinformation. Soit dit en passant, la NZZ n’a jamais été sanctionnée — probablement parce qu’elle relaie fidèlement la narration de l’UE. Pourtant, elle dispose d’un correspondant basé à Moscou depuis des années, qui est donc en mesure de savoir mieux.

Röper conteste la légitimité du gouvernement ukrainien

Depuis mai 2024, Volodymyr Zelensky gouverne sans base légale : son mandat présidentiel a expiré il y a plus d’un an et il n’a organisé aucune élection — qu’il n’aurait de toute façon pas pu gagner. C’est précisément pour cette raison que nous mettons le mot « Président » entre guillemets sur notre blog. Soit dit en passant, M. Röper et nous ne sommes pas seuls à partager cette position. De nombreux analystes géopolitiques la soutiennent également, et l’absence de légitimité de M. Zelensky constitue aujourd’hui un enjeu majeur dans les négociations de paix en cours : il est en effet problématique de signer un traité de paix avec une partie qui, selon le droit en vigueur dans son propre pays, n’a plus la légitimité pour le faire.

Enfin, le 19 février 2025, le président Trump a qualifié Zelensky sur Truth Social de "Dictateur sans élections".

https://truthsocial.com/@realDonaldTrump/posts/114031332924234939

Röper légitime l’annexion illégale en tant qu’observateur électoral ?

Je pars du principe que M. Röper soutient l’annexion des territoires concernés — ce qui, soit dit en passant, peut se justifier par de solides arguments en droit international. Mais prétendre qu’il la légitime en agissant comme observateur électoral relève de l’absurde.

Pour ce qui est des référendums organisés dans les territoires annexés, nous renvoyons à notre article du 8 février 2023 intitulé « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – Quand l’Occident tord le droit à sa convenance ».

Röper est intervenu en tant qu’expert lors d’une réunion onusienne fondée sur la formule Arria

Les réunions des Nations unies organisées selon la formule Arria sont des rencontres informelles et non enregistrées du Conseil de sécurité, qui ne font pas partie de son programme de travail officiel. Elles permettent aux membres du Conseil d’avoir un échange ouvert et confidentiel avec des experts externes ou des délégations invitées, incluant souvent des hauts fonctionnaires de l’ONU ou des représentants d’acteurs non étatiques.

En janvier 2024, plusieurs réunions de ce type ont eu lieu. Le 13 janvier 2024, le Royaume-Uni — soutenu par l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Ukraine et les États-Unis — a convoqué une réunion selon la formule Arria intitulée « Violations du droit international humanitaire à l’encontre de prisonniers de guerre et de civils détenus ukrainiens ».

Le 16 janvier 2024, le Conseil a tenu une séance d'information sur l’Ukraine (S/PV.9839). La Slovénie et les États-Unis, auteurs conjoints d’une résolution sur les questions politiques en Ukraine, avaient demandé cette réunion afin d’obtenir un aperçu général de la situation.

Conformément au principe juridique ancien audiatur et altera pars — selon lequel il faut également entendre la partie adverse — la Russie a organisé sa propre réunion selon la formule Arria le 24 janvier 2024, intitulée « Au-delà du champ de bataille : atrocités commises par les forces ukrainiennes contre des civils ». L’ambassadeur russe Vasily Nebenzya a prononcé le discours d’ouverture. Les intervenants, qui ont participé par visioconférence, étaient : Maxime Grigoriev (membre de la Chambre publique de la Fédération de Russie), Thomas Röper (journaliste allemand), ainsi que deux habitants de Selydove, Vladimir Romanenko et Vladimir Pogorelov, présentés comme des « victimes des forces ukrainiennes » dans la note conceptuelle préparée par la Russie pour cette réunion (source : Security Council Report).

Dans quelle mesure des déclarations faites devant le Conseil de sécurité dans ce cadre pourraient constituer un acte juridiquement répréhensible, et donc justifier des sanctions de l’UE, n’est pas expliqué — et ne saurait de toute façon l’être.

Thomas Röper faciliterait un conflit armé ?

Les activités mentionnées ci-dessus de M. Röper seraient, selon l’UE, destinées à faciliter un conflit armé. En quoi des activités journalistiques pourraient-elles favoriser un tel conflit dépasse totalement mon entendement — aucune démonstration n’a d’ailleurs été fournie à cet égard.

C’est même tout le contraire : quiconque prend la peine d’étudier sérieusement le travail de Thomas Röper constatera que l’une de ses préoccupations principales est d’œuvrer à un règlement rapide et pacifique du conflit en Ukraine. Mais contrairement au récit dominant en Occident, il n’hésite pas à nommer les véritables obstacles qui entravent la signature d’un accord de paix.

Une justification qui n’en est pas une

Je considère que la « motivation » des sanctions prononcées à l’encontre de M. Röper est aussi vide sur le fond que bancale sur la forme.

Mais cela n’a rien d’étonnant. Le blog de M. Röper, Anti-Spiegel, jouit d’une audience importante en Allemagne. Il défend des positions qui vont à l’encontre du récit imposé par les grands médias européens, et qui dérangent les cercles de pouvoir à Bruxelles. Il aurait été plus honnête que Mme Kaja Kallas, qui a signé la décision en tant que présidente du Conseil de l’Union européenne, dise simplement que M. Röper devait être sanctionné parce qu’il pense autrement : « Ce type dérange, il doit disparaître. »

En tant que juriste, je suis consterné par de telles « argumentations ». Un juge renverrait sans hésiter un procureur qui tenterait d’obtenir une condamnation sur la base d’allégations aussi infondées — et ce, même dans une simple affaire de contravention. Or, ici, il ne s’agit pas d’une infraction mineure, mais bien d’une mise au ban à l’échelle internationale et d’une destruction de moyens de subsistance — à l’encontre de journalistes dont le seul « crime » est de ne pas partager l’opinion d’apparatchiks non élus, qui mènent l’Europe à sa ruine de manière désormais manifeste.

Une sanction sans infraction

Le principe

Il existe un principe fondamental en droit pénal : nulla poena sine lege, autrement dit « pas de peine sans loi ». Ce principe est inscrit, par exemple, dans le droit pénal allemand à l’article 1 du Code pénal (StGB) : « Un acte ne peut être puni que si sa punissabilité était déterminée par la loi avant qu’il ne soit commis. » L’importance que le législateur allemand accorde à ce principe se manifeste déjà dans le fait qu’il figure à la toute première disposition du code.

Charte de l’UE — Article 11

Liberté d’expression et d’information
Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.
La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés.
Charte de l’UE — Article 11

Cet article correspond au contenu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et constitue un fondement essentiel pour la garantie des droits démocratiques fondamentaux au sein de l’Union européenne.

Aucune infraction pénale

Le Conseil de l’Union européenne ne tente même pas d’accuser M. Röper d’une quelconque infraction pénale — car il n’en a commis aucune. Ses activités relèvent pleinement de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi que de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui sont censés le protéger.

L’imposition de sanctions à son encontre est donc illégale, tant du point de vue du droit pénal que de celui des libertés fondamentales.

Pas une peine, mais une mesure

Sans surprise, le Conseil n’emploie pas le mot « peine », mais parle de « mesures » — sans doute afin de créer, à moindres frais, un vide juridique dans lequel il devient possible de marginaliser arbitrairement et de ruiner économiquement des personnes aux opinions divergentes. Sur le fond, toutefois, ces « mesures » bafouent les principes les plus fondamentaux du droit pénal et des libertés civiles.

Dans sa décision du 8 octobre 2024, sur laquelle reposent les sanctions à l’encontre de M. Röper, le Conseil évoque des « mesures restrictives en réponse aux activités déstabilisatrices de la Russie ».

De plus, cette décision affirme dans ses considérants (point 17), en contradiction avec l’état du droit :

«Ces mesures sont conformes aux droits et libertés fondamentaux reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à la liberté d’expression et d’information, à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété, tels que consacrés aux articles 11, 16 et 17 de ladite Charte. En particulier, ces mesures ne modifient en rien l’obligation de respecter les droits, libertés et principes visés à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, dans la Charte des droits fondamentaux, ainsi que dans les constitutions des États membres, dans leurs champs d’application respectifs.»

Le degré de conformité de ces mesures avec la Charte n’est bien entendu expliqué d’aucune manière.

Mesures imposées à Thomas Röper par l’Union européenne

Interdiction d’entrée

Art. 1, ch. 1 :

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le transit sur leur territoire […]»

Le Conseil étend également les sanctions au titre du point b) à deux groupes de personnes supplémentaires, à savoir :

"b) les personnes associées aux personnes physiques visées au point (a);"

sans que le terme « associées » ne soit défini, ainsi qu’à :

"celles qui soutiennent les personnes physiques menant les activités mentionnées au point(a)"

Cela signifie que les personnes qui soutiennent M. Röper sont également sanctionnées. Là encore, l’autorité ne précise pas ce que signifie « soutenir ».

Le point 2 précise laconiquement que les États membres — en l’occurrence l’Allemagne — ne sont pas obligés de refuser l’entrée sur leur territoire à leurs propres ressortissants. Toutefois, cette précision est cynique, car comment M. Röper est-il censé entrer en Allemagne, étant donné que la Russie n’a pas de frontière commune avec l’Allemagne et que le point 1 interdit également le transit ?

Gel de tous les avoirs

Art. 2, ch. 1 :

«Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, entités ou organismes [sont gelés]»

Le terme « gelé » n’est qu’un artifice sémantique, cette mesure équivaut en réalité à une confiscation de biens, car aucun recours juridique équitable n’est prévu qui permettrait à la personne concernée de faire annuler cette mesure.

Qualification juridique de la mesure

Tout cela constitue une violation flagrante de la dignité humaine et des libertés fondamentales garanties par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) — notamment :

  • l’article 11 : liberté d’expression et d’information

  • l’article 15 : liberté de choisir une profession et droit de travailler

  • l’article 17 : droit de propriété

  • les articles 41 et 47 : droit à une bonne administration et droit à un procès équitable / droit d’être entendu

Les droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz) ne jouent ici qu’un rôle limité, compte tenu de la subordination du droit allemand au droit de l’UE. Toutefois, l’article 14, alinéa 1, phrase 1 de la Loi fondamentale garantit le droit de propriété et protège l’individu contre toute spoliation arbitraire ou restriction disproportionnée de l’usage de ses biens.

Selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, toute atteinte au droit de propriété n’est admissible que si elle :

  • repose sur une base légale (principe de réserve légale)

  • poursuit un objectif d’intérêt général (par exemple, la prévention ou la répression d’infractions pénales)

  • est proportionnée, c’est-à-dire adaptée, nécessaire et mesurée

Un critère constitutionnel central pour autoriser une confiscation est le lien matériel avec une infraction pénale précise. Une atteinte aux droits de propriété — y compris une restriction disproportionnée de leur usage — n’est constitutionnellement justifiée que si un lien fonctionnel existe avec une infraction, que ce soit en tant qu’instrument ou produit de cette infraction. La confiscation de biens n’ayant aucun rapport avec une infraction est donc inconstitutionnelle.

Voici quelques exemples d’atteintes admissibles ou non au droit de propriété :

Confiscation admissible :
– argent liquide issu du trafic de drogue (§ 73 StGB)
– véhicule utilisé comme moyen de fuite (§ 74 StGB)
– villa de luxe d’origine douteuse dans un contexte de criminalité organisée (§ 73a StGB)

Confiscation inadmissible :
– biens acquis légalement sans aucun lien avec une infraction
– biens appartenant à un tiers n’ayant pas soutenu intentionnellement la personne sanctionnée
– héritage ou avoirs d’origine licite prouvée

Les mesures prises contre Mme Lipp et M. Röper ne répondent à aucun de ces critères juridiques : elles ne reposent sur aucune base légale suffisante, ne servent pas l’intérêt général et sont clairement disproportionnées. En outre, il n’existe aucun lien fonctionnel avec une infraction pénale spécifique, les personnes concernées n’étant même pas accusées de quoi que ce soit. C’est une véritable mascarade.

En rédigeant cet article, j’ai eu un long échange avec mon collègue Dr Andreas Mylaeus, avocat allemand. À l’issue de notre discussion, il m’a transmis un résumé de ses réflexions juridiques, trop détaillé pour être reproduit ici, mais qui constitue une excellente synthèse. Vous le trouverez ici : « Qualification juridique des sanctions de l’UE contre Thomas Röper »

Portée de cette privation de droits

Par ces mesures, M. Röper et Mme Lipp sont, de fait, expatriés et dépossédés — nota bene de manière illégale.

Le cas d’expatriation le plus célèbre remonte à 79 ans : en 1936, Thomas Mann fut déchu de sa nationalité allemande par le régime nazi. Détail piquant : cette expatriation fut initiée par Ernst von Weizsäcker, alors envoyé du gouvernement nazi à Berne. Ernst von Weizsäcker était le père de Richard von Weizsäcker, futur président de la République fédérale d’Allemagne.

Lettre d’Ernst von Weizsäcker en date du 6 mai 1936, dans laquelle il soutient la déchéance de nationalité de Thomas Mann.
Thomas Mann et Ernst von Weizsäcker ne sont jamais devenus amis.

Comment réagissent les confrères ? — Aucune.

À l’exception des médias alternatifs, la grande majorité de la presse germanophone reste silencieuse. Les confrères d’Alina Lipp et de Thomas Röper ne prennent pas la défense de leurs collègues injustement malmenés. Mon mépris pour tous ces gens est sans limites.

Une fois de plus, les agissements des dirigeants me rappellent les heures sombres de l’époque nazie. Martin Niemöller, théologien protestant, a passé sa vie dans des camps de concentration entre 1937 et 1945. Il est l’auteur d’un poème qui existe en de nombreuses variantes. Je cite ici la version publiée par la Holocaust Memorial Day Trust :

Martin Niemöller
"D’abord, ils sont venus chercher les communistes,
et je n’ai rien dit —
je n’étais pas communiste.
Puis ils sont venus chercher les socialistes,
et je n’ai rien dit —
je n’étais pas socialiste.
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes,
et je n’ai rien dit —
je n’étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les Juifs,
et je n’ai rien dit —
je n’étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher —
et il ne restait plus personne
pour protester."
Holocaust Memorial Day Trust

Les autorités suisses vont-elles adopter ces sanctions ?

La Suisse a, jusqu’à présent, repris pratiquement toutes les sanctions imposées par l’Union européenne. Les autorités helvétiques affirment qu’elles ne les adoptent qu’après un examen approfondi. Mais cette affirmation a rapidement perdu en crédibilité, notamment lors de l’instauration du premier paquet de sanctions en février 2022 : ce paquet, pourtant extrêmement vaste, avait été mis en œuvre par la Suisse dans les cinq jours suivant son entrée en vigueur dans l’UE.

Pour l’instant, la Suisse est restée silencieuse. Je n’ose croire qu’elle se joindra à cette parodie illégale. En tant que juriste suisse, j’ai encore trop confiance en mon pays natal. Certes, je suis en désaccord avec de nombreux aspects de sa politique étrangère — notamment en ce qui concerne la neutralité — mais je refuse de croire que la Suisse pourrait s’abaisser à un tel niveau d’indignité en soutenant activement la persécution politique illégale et la destruction de journalistes. J’espère que mon espoir ne repose pas sur une naïveté déplacée.

Au-delà de cela, de telles actions illégales pourraient poser problème à la Suisse, non pas vis-à-vis de la Russie — le pont est déjà rompu —, mais vis-à-vis des États-Unis. Je renvoie ici au discours du vice-président J.D. Vance lors de la Conférence sur la sécurité du 14 février, que nous avons analysé dans notre article « Le discours incendiaire de J.D. Vance à Munich ». Les Américains, qui ont souffert d’une censure rampante sous l’administration Biden, ont depuis opéré un revirement clair en matière de liberté d’expression. J’espère que cet élément pèsera dans le processus décisionnel des autorités suisses.

Des sanctions inefficaces mais inhumaines

Ce qui est intéressant dans le régime de sanctions de l’Union européenne — et de la Suisse —, c’est qu’il n’a eu absolument aucun effet sur le gouvernement russe. La seule conséquence notable a été la détérioration des relations diplomatiques entre la Russie et l’UE, en particulier avec la Suisse. Aux yeux de Moscou, le comportement de la « Suisse neutre » est inacceptable.

Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises les dangers auxquels la Suisse s’expose par son manque de fiabilité, notamment dans notre article de mars 2023 intitulé « La Suisse en danger ». Les premières conséquences se sont déjà matérialisées : la Russie — et par extension la Chine — ne feront probablement plus appel aux « bons offices » suisses avant longtemps. Ces pays se tournent désormais vers la Turquie et l’Arabie saoudite — qui aurait pu imaginer cela il y a encore quelques années ?

L’économie russe est en croissance, et si aucun traité de paix n’est signé, Moscou pourra probablement trancher le conflit en Ukraine par une décision militaire favorable. La seule puissance occidentale à l’avoir reconnu est les États-Unis. Le revirement du président Trump en est la preuve.

Conclusion

Ce que fait l’Union européenne en sanctionnant Alina Lipp et Thomas Röper est inacceptable — sur le plan de l’équité, de l’État de droit et de la dignité humaine. Une telle décision donne des sueurs froides à tout juriste attaché aux principes fondamentaux. C’est exactement de cette manière que les nazis ont agi contre ceux qui avaient une opinion divergente et le courage de l’exprimer.

Hans Frank, juriste et plus tard gouverneur général de Pologne sous Hitler, fut l’un des principaux accusés au procès de Nuremberg en 1946. Il fut condamné à mort et pendu — à juste titre.

En 1933, il avait formulé cette maxime glaçante : « Ce qui est utile au peuple allemand est juste. » Les puissants en Europe traitent aujourd’hui le droit et les citoyens exactement de la même manière. Ils foulent aux pieds la loi, et avec elle les droits de ceux qui n’ont commis aucun crime, si ce n’est d’avoir une opinion différente. Cela peut fonctionner à court terme, mais à long terme, la justice finira par les rattraper.

Hans Frank, à la toute fin de sa carrière – le 16 octobre 1946.

Si mesdames et messieurs de Bruxelles et Berlin sont offensés par la comparaison avec les nazis, qu’ils commencent par ne pas se comporter comme eux.

Quant aux dames et messieurs les journalistes qui ne rapportent rien sur cette monstruosité, qu’ils sachent qu’en agissant ainsi, ils se rendent complices de l’injustice — sans doute pour ne pas froisser les puissants, ou par peur de faire fuir les annonceurs — voire les deux. L’existence de deux confrères semble être un prix acceptable pour leur silence. Honte à vous !

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