Le pire antisémitisme dont personne ne parle

Le pire antisémitisme dont personne ne parle

Comment l’Allemagne se rend à nouveau coupable
Felix Abt
mer. 25 juin 2025 3686 14

Peuples sémites et hamitiques : origines et idées reçues

Les termes « sémites » et « hamitiques » trouvent leur origine dans des classifications bibliques fondées sur les fils de Noé — Sem et Cham. En linguistique historique et en ethnographie ancienne, les peuples sémites étaient associés au Moyen-Orient (Arabes, Juifs, Babyloniens, Cananéens), tandis que les peuples hamitiques désignaient des groupes d’Afrique, notamment les anciens Égyptiens, les Berbères et les Éthiopiens.

Au XIXe siècle, Wilhelm Marr, théoricien racial allemand, forgea le terme « antisémitisme » — un terme aujourd’hui presque exclusivement appliqué aux Juifs, bien que les Arabes soient tout autant sémites. Cette définition restreinte a des conséquences politiques profondes aujourd’hui, en particulier en Allemagne.

« Les Palestiniens et les Juifs partagent une lignée génétique commune » : titre du journal israélien Haaretz

Réduits au silence au nom de la mémoire : les lois allemandes pour étouffer la liberté d’expression.

L’Allemagne applique certaines des lois les plus strictes au monde en matière d’antisémitisme, principalement conçues pour lutter contre le négationnisme et protéger les communautés juives. Si ces lois ont une origine louable, elles sont aujourd’hui critiquées — y compris par des intellectuels juifs, des organisations de défense des droits humains et des acteurs de la société civile — pour leur usage disproportionné contre les voix arabes, palestiniennes et musulmanes.

Un point de discorde majeur concerne l’adoption par l’Allemagne de la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste). Cette définition est régulièrement utilisée pour assimiler les critiques du gouvernement israélien à des discours haineux antisémites, même lorsque ces critiques s’appuient sur le droit international ou sur une solidarité exprimée envers les Palestiniens opprimés.

En 2024, l’Allemagne a réaffirmé sa résolution interdisant le financement public des organisations soutenant le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Cette politique revient à criminaliser une forme pacifique de plaidoyer palestinien et à restreindre la liberté d’expression — en particulier au sein des communautés arabes et musulmanes. En pratique, les lois contre l’antisémitisme sont appliquées de manière sélective, servant principalement à faire taire les critiques de la violence d’État israélienne et à marginaliser les voix qui réclament justice, équité et égalité raciale.

La fondation d’Israël et ses origines violentes : comment des terroristes sionistes ont préparé le terrain

Avant la création de l’État d’Israël en 1948, trois groupes paramilitaires sionistes — la Haganah, l’Irgoun et le Lehi (ou Groupe Stern) — menèrent une campagne souvent brutale contre les autorités britanniques, les civils arabes, et parfois même entre eux, dans le but d’établir un État juif.

Ces groupes furent à plusieurs reprises désignés comme organisations terroristes par les autorités britanniques, et sont responsables d’attentats marquants :

  • Les attentats de l’Irgoun en 1938 firent environ 80 morts parmi les civils dans des marchés palestiniens.

  • L’attentat contre l’hôtel King David en 1946, revendiqué par l’Irgoun, fit 91 morts.

  • La tentative d’assassinat de Harry Truman par le Lehi en 1947, alors président des États-Unis.

  • L’attentat à la bombe contre l’hôtel Semiramis en 1948, qui tua 25 personnes.

  • Le massacre de Deir Yassin (avril 1948) : plus de 100 civils palestiniens furent tués lors d’une opération conjointe de l’Irgoun et du Lehi.

  • L’assassinat du comte Folke Bernadotte — médiateur de l’ONU ayant négocié la libération de plus de 30 000 prisonniers des camps nazis — perpétré par le Lehi en septembre 1948.

Les dirigeants de ces groupes terroristes devinrent plus tard Premiers ministres d’Israël : David Ben Gourion, Menahem Begin et Yitzhak Shamir. Leurs méthodes violentes et leur vision idéologique ont jeté les bases de ce que les Palestiniens appellent la Nakba (« la catastrophe ») — l’expulsion de plus de 750 000 Palestiniens, le massacre de nombreuses personnes et la destruction de centaines de villages.

Un héritage de massacres : de 1948 à aujourd’hui

Le terrorisme ne s’est pas arrêté avec la fondation d’Israël. Voici un aperçu — non exhaustif — des principaux massacres de Palestiniens :

  • Deir Yassin (1948) : plus de 100 civils massacrés.

  • Abu Shusha (1948) : 60 villageois tués, avec des témoignages de violences sexuelles.

  • Tantura (1948) : 200 personnes exécutées après s’être rendues.

  • Lydda et Ramle (1948) : plus de 400 morts et des dizaines de milliers de Palestiniens expulsés.

  • Al-Dawayima (1948) : 455 morts, dont des femmes et des enfants.

  • Qibya (1953) : 69 morts sous le commandement d’Ariel Sharon.

  • Kafr Qasim (1956) : 49 morts pour avoir enfreint un couvre-feu dont ils ignoraient l’existence.

  • Khan Younès (1956) : entre 275 et 400 morts dans la bande de Gaza.

  • Sabra et Chatila (1982) : environ 3 000 Palestiniens massacrés avec la complicité de l’armée israélienne.

  • Mosquée d’Ibrahim à Hébron (1994) : 29 Palestiniens tués par un colon juif extrémiste.

Plus récemment, les guerres de Gaza en 2008, 2012 et 2014, la Grande Marche du Retour (2018–2019) et l’escalade autour de Sheikh Jarrah en 2021 ont entraîné des milliers de victimes civiles palestiniennes, dont de nombreux enfants, suscitant des accusations crédibles de crimes de guerre par des observateurs internationaux.

7 octobre et la guerre contre Gaza : un contexte ignoré

Tout comme pour le conflit en Ukraine — officiellement présenté comme ayant commencé avec l’invasion russe de février 2022, si l’on adopte le récit occidental dominant qui omet le coup d’État soutenu par l’Occident contre un gouvernement démocratiquement élu en 2014 et la montée d’un régime ultranationaliste illégitime, hostile aux russophones et bombardant le Donbass depuis — le récit autour du conflit israélo-palestinien est, lui aussi, profondément biaisé.

Selon les dirigeants occidentaux et les grands médias, le conflit aurait débuté le 7 octobre 2023, avec une attaque prétendument « non provoquée » contre un Israël pacifique. Ce jour-là, la branche armée du Hamas a lancé une opération d’envergure contre l’État sioniste. Or, avant cela, le Hamas avait à plusieurs reprises réclamé la libération de milliers de Palestiniens — parmi lesquels des femmes et des enfants — détenus par Israël, souvent sans procès et dans des conditions inhumaines. De nombreux rapports de défense des droits de l’homme faisaient état de tortures et de violences sexuelles dans les centres de détention israéliens. Ces appels furent ignorés par le gouvernement israélien — et largement occultés par les médias occidentaux. Contrairement à la propagande largement diffusée, l’opération du 7 octobre n’avait donc pas pour objectif principal de tuer des civils israéliens, mais de capturer des otages afin de contraindre Israël à libérer des prisonniers palestiniens.

Le récit initial d’Israël sur l’attaque du 7 octobre — évoquant des viols de masse, des bébés décapités et d’autres atrocités — a été relayé par les médias internationaux, mais a depuis été remis en question, voire contredit, par des journalistes israéliens et des enquêtes indépendantes. Par ailleurs, Israël aurait activé la directive Hannibal, qui autorise l’usage de la force létale dans les zones où des soldats israéliens risquent d’être capturés — ce qui aurait entraîné la mort de nombreux civils, y compris des otages israéliens. Une famille israélienne endeuillée a même menacé d’attaquer l’État en justice, l’accusant d’avoir utilisé la mort de ses proches à des fins de propagande, alors que des éléments indiquent qu’un bombardement israélien, et non une action du Hamas, en serait responsable. Dans un cas tragique, un otage israélien filmé sur vidéo expliquait que les combattants du Hamas l’avaient déplacé à dix reprises pour le protéger des attaques israéliennes. Il a pourtant été tué — par une frappe israélienne.

Contrairement à ce que prétendent les discours dominants, le Hamas a déjà accepté l’idée d’un État palestinien dans les frontières de 1967 — ce qui constitue une reconnaissance implicite de l’existence d’Israël. Le mouvement a également déclaré faire une distinction entre le judaïsme et le sionisme, affirmant qu’il pourrait coexister pacifiquement avec des communautés juives. Pourtant, les appels à la libération de la Palestine sont encore trop souvent — et délibérément — assimilés à un antisémitisme génocidaire.

Dans le même temps, de véritables violences génocidaires et antisémites envers les Palestiniens se poursuivent, sans sanction ni responsabilité. En date de juin 2025 :

  • Plus de 70 000 Palestiniens ont été tués à Gaza.

  • Plus de 131 000 ont été blessés.

  • Plus de 12 000 ont été arrêtés.

  • Près de 1 000 ont été tués en Cisjordanie.

La complicité de l’Allemagne : une constante historique

Friedrich Merz, l’actuel chancelier allemand, adopte une posture ouvertement pro-israélienne et anti-russe. Ses déclarations visant à blanchir les crimes de guerre israéliens et les attaques ukrainiennes contre les civils russes — tout en préparant l’Allemagne à une guerre contre la Russie — rappellent de manière troublante certains des épisodes les plus sombres de l’histoire allemande.

Ce qui inquiète le plus, c’est sa défense sans réserve des frappes israéliennes de juin 2025 contre l’Iran — une agression non provoquée qui, au-delà de quelques officiers militaires ciblés, a frappé de manière flagrante des civils et des installations nucléaires pacifiques. Présenter une telle brutalité comme nécessaire ou juste relève de l’indécence. Lorsque Merz qualifie cette guerre d’agression illégale d’« opération sale au nom du monde », il fait écho, de façon glaçante, à un militarisme que l’on croyait révolu en Allemagne.

Merz décrit également le gouvernement iranien — souvent qualifié de « régime des mollahs » — comme brutal et répressif envers son propre peuple, insistant sur des abus présumés des droits humains, la répression de la dissidence et une gouvernance autoritaire.

Marre des récits à répétition sur la prétendue cruauté du « régime des mollahs » envers le peuple iranien ? Regardez les vidéos de la chaîne YouTube Travel Buddies Iran.

Mais ne soyez pas surpris si tout ce que vous avez entendu sur l’Iran s’avère très éloigné de la réalité.

Ce que le chancelier allemand oublie volontairement de mentionner, c’est qu’en Iran — où vit la deuxième plus grande communauté juive du Moyen-Orient — les Juifs bénéficient de protections constitutionnelles. Ils pratiquent librement leur religion, entretiennent des synagogues, prospèrent économiquement et disposent même d’un siège réservé au parlement. Des journalistes juifs américains comme Max Blumenthal et Anya Parampil ont documenté la vie juive florissante dans des villes comme Ispahan.

De plus, contrairement aux affirmations de Merz, l’Iran dispose d’une forme de démocratie plus inclusive qu’Israël, qui refuse systématiquement l’égalité des droits et la représentation politique à des millions de personnes sous son contrôle, comme l’a souligné l’historien israélien Ilan Pappé.

La première guerre sale de l’Allemagne : armes chimiques contre l’Iran

Pendant la guerre Iran–Irak (1980–1988), l’Irak a utilisé des armes chimiques contre des civils et des soldats iraniens — avec des composants et des technologies fournis par des entreprises allemandes. Des agents neurotoxiques tels que le gaz sarin et l’ypérite ont tué au moins 20 000 Iraniens. Plus de 80 sociétés allemandes ont été impliquées dans la facilitation de ces atrocités. Une fois de plus, l’Allemagne s’est retrouvée à l’avant-garde du meurtre de masse industrialisé.

Le silence et la complicité de l’Occident — y compris de l’Allemagne — révèlent un schéma inquiétant de doubles standards où, malgré les déclarations officielles, les intérêts géopolitiques l’emportent systématiquement sur la justice et les droits humains.

Au lieu de rendre des comptes pour son rôle dans ces crimes, Berlin — avec d’autres puissances occidentales — soutient aujourd’hui ce qui pourrait devenir le prochain grand crime contre le peuple iranien.

Le professeur Jeffrey Sachs, intellectuel juif américain de renom, offre une analyse lucide de cette posture occidentale plus large. Il soutient que la politique étrangère des États-Unis est depuis longtemps dominée par des agendas néoconservateurs et pro-israéliens qui privilégient les changements de régime et l’intervention militaire au détriment de la diplomatie et du droit international. Citant l’ancien général Wesley Clark, Sachs rappelle qu’après 2001, le Pentagone avait élaboré un plan pour renverser sept gouvernements en cinq ans : l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et l’Iran — des pays ciblés pour avoir résisté à l’hégémonie israélienne et occidentale ou soutenu le peuple palestinien opprimé. Six de ces guerres ont déjà eu lieu, laissant derrière elles chaos et effusion de sang. Sachs décrit cette stratégie comme téméraire, moralement en faillite et sans cohérence stratégique.

L’alignement enthousiaste de l’Allemagne sur cette politique la rend complice — hier comme aujourd’hui.

L’hypocrisie nucléaire et le racisme décomplexé

L’Allemagne et d’autres puissances occidentales continuent de diaboliser le programme nucléaire iranien — pourtant pacifique, destiné à des usages énergétiques et médicaux — tout en passant sous silence l’arsenal nucléaire non déclaré d’Israël. L’Iran respecte le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et accueille des inspections de l’AIEA. À l’inverse, Israël refuse toute inspection et détient un arsenal considérable sans aucune transparence.

Même après l’assassinat du principal négociateur nucléaire iranien — survenu quelques jours seulement après qu’il eut accepté de limiter l’enrichissement d’uranium à moins de 5 % en amont d’une réunion diplomatique cruciale avec les États-Unis — Israël n’a fait l’objet d’aucune condamnation internationale. Au contraire, les récits biaisés persistent à présenter l’Iran comme une menace existentielle, alors que ce pays n’a pas initié de guerre depuis des siècles. À l’opposé, Israël mène régulièrement des frappes contre des pays comme le Liban, la Syrie, le Yémen ou l’Iran, et menace Téhéran depuis plus de trente ans.

Conclusion : Vers une définition plus honnête de l’antisémitisme

L’antisémitisme est une réalité grave, dangereuse, qu’il faut combattre sans ambiguïté. Mais le faire avec intégrité suppose d’en reconnaître toute l’étendue. Le nombre croissant de Juifs en Amérique, en Grande-Bretagne et ailleurs qui proclament « Pas en mon nom » traduit une prise de conscience lucide : l’association sans esprit critique de l’identité juive aux actes d’un État sioniste violent risque d’alimenter une hostilité antisémite généralisée — dirigée contre les Juifs eux-mêmes.

Aujourd’hui, la violence la plus brutale et la plus systématique exercée contre un peuple sémitique ne vise pas les Juifs, mais les Palestiniens — à travers des déplacements forcés, des massacres de masse et une famine organisée — perpétrée par l’État d’Israël avec le soutien total de puissants gouvernements occidentaux. Et une fois encore, l’Allemagne se retrouve à l’avant-garde d’un nouvel holocauste.

Cette agression constante constitue non seulement une catastrophe humanitaire, mais aussi un acte profond de déshumanisation collective — rendu plus insupportable encore par l’instrumentalisation du terme « antisémitisme » pour protéger les violences de l’État israélien de toute critique, et pour diffamer les Arabes, les musulmans et les Iraniens.

La culpabilité historique de l’Allemagne est devenue tragiquement sélective : elle accorde sa solidarité aux Sémites juifs, même lorsqu’ils commettent des atrocités massives, tout en affichant un mépris ouvert pour les Sémites palestiniens.

En somme, la forme la plus négligée et la plus occultée d’antisémitisme aujourd’hui est l’éradication systématique et l’exclusion politique des Palestiniens sémites — qu’ils soient musulmans ou chrétiens — par un État fondé sur une idéologie ethnonationaliste et soutenu par des puissances occidentales qui se présentent comme des remparts contre tous les fanatismes. Combattre réellement l’antisémitisme exige de la lucidité morale et du courage politique — y compris le courage de nommer la réalité. On peut difficilement attendre cela de l’Allemagne, redevenue, une fois de plus, méconnaissable.

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