Le choix allemand : expropriation de la population ou guerre
Wolfgang Bittner, „Geopolitik im Überblick. Deutschland-USA-EU-Russland“, Verlag Hintergrund, Klappenbroschur, 144 S., 14,80 €, ISBN 978-3910568235

Le choix allemand : expropriation de la population ou guerre

Alors que l’Allemagne se dirige vers la ruine économique, le chancelier Friedrich Merz veut prendre la tête de l’OTAN, qui défie la Russie.
Wolfgang Bittner
sam. 13 sept. 2025 701 1

Cette politique destructrice rencontre peu de résistance, pas plus que la sur-réglementation, la numérisation et la surveillance, qui entraînent non seulement l’Allemagne mais aussi d’autres pays sur la voie du totalitarisme. Mais qu’en est-il de la souveraineté allemande ? Et quelles conséquences aura le basculement mondial en cours dans l’équilibre des puissances, maintenant que de nombreux pays se détachent de la domination américaine ?

Questions auxquelles répond l’écrivain et journaliste Wolfgang Bittner. Son livre Geopolitik im Überblick (La géopolitique en un coup d’œil) vient de paraître aux éditions Hintergrund. Ci-dessous, un extrait.

Status quo

D’un point de vue global, nous assistons à la fin de l’ordre impérial fondé sur des règles imposées et à l’émergence de nouvelles idées socio-politiques reposant sur l’humanité et l’égalité entre les peuples et les nations, autrement dit sur les principes inscrits dans la Charte des Nations unies. Quelles que soient les politiques de la nouvelle administration américaine sous Trump, de nombreux pays du Sud global — dont la Russie, la Chine et l’Inde — ne toléreront plus le paternalisme ni l’oppression des États-Unis, quel que soit le président. Et cela concerne la vaste majorité de la population mondiale.

Reste à voir comment l’autocrate Trump choisira de gouverner. Après s’être entouré, dans un premier temps, de ministres compétents et de collaborateurs solides, et avoir pris des mesures efficaces pour freiner l’« État profond », il apparaît qu’il maintient intacte la prétention impériale des États-Unis. Trump agit différemment sur la forme, mais sur le fond, rien ne change vraiment. Il a déjà annoncé des mesures répressives en violation flagrante du droit international. Ainsi, il menace de sanctionner les pays des BRICS et envisage même l’annexion du Canada, du Groenland et du Panama.[1] Il n’a levé qu’une partie des sanctions existantes, impose de lourds droits de douane qui désorganisent gravement les chaînes d’approvisionnement, et exige des pays européens de l’OTAN qu’ils portent leurs dépenses militaires à 5 % du PIB — une exigence irréalisable sans amputer drastiquement les budgets sociaux, éducatifs, culturels et scientifiques. Dans le même temps, à l’instar de l’Allemagne, il continue de livrer des armes à Israël et tolère le génocide des Palestiniens. Il a ordonné des frappes aériennes au Yémen, où l’Arabie saoudite mène une guerre par procuration contre l’Iran avec l’appui des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France.[2] Début avril 2025, il a envoyé des forces navales et aériennes en mer Rouge et dans l’océan Indien pour dissuader l’Iran de poursuivre son supposé programme nucléaire, avant d’apporter son soutien à la guerre d’agression menée par Israël contre l’Iran, là encore en violation manifeste du droit international.

En outre, Donald Trump sème le chaos sur les marchés financiers et déstabilise l’économie mondiale. On ne peut exclure qu’il cherche délibérément à brouiller les pistes pour désorienter ses adversaires et, ce faisant, dissimuler ou repousser l’effondrement imminent du système économique et financier américain. Il considère la Chine comme son principal rival, tout en voulant manifestement éviter un affrontement militaire qui pourrait dégénérer en guerre sur plusieurs fronts, voire en conflit nucléaire. Sa stratégie consiste plutôt à affaiblir la puissance économique chinoise par l’isolement, des droits de douane massifs et une pluie de sanctions. Si Trump parvenait à neutraliser Pékin, la Russie, l’Iran et plusieurs pays du Sud global se verraient privés de leur plus important soutien. Quant aux Européens, ils auraient tout intérêt à rester en dehors de cette confrontation, car ils ne pourraient qu’y perdre.

Parallèlement, la situation en Ukraine évolue rapidement. Les États-Unis ont récemment signé un accord avec Kiev concernant l’exploitation des ressources naturelles et le financement de la reconstruction. À cette occasion, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a affirmé qu’une « Ukraine libre, souveraine et prospère » correspondait aux intérêts des États-Unis.[3] De son côté, Vladimir Poutine a proposé une coopération avec Washington pour l’exploitation conjointe des ressources minières.[4] Mais il reste incertain de savoir quelle forme prendrait une telle collaboration, qui en tirerait les véritables bénéfices, et si l’Ukraine ne finirait pas par devenir une colonie américaine, comme l’envisageait déjà l’administration Biden.

Excès et rhétorique guerrière à Berlin

Un tournant dans la politique envers la Russie s’est dessiné le 19 mai 2025, à la suite d’un nouvel entretien téléphonique entre Trump et Poutine. Malgré la pression de l’Union européenne, Trump n’a pris aucune nouvelle sanction contre Moscou. Il a déclaré aux chefs d’État et de gouvernement européens qui l’exhortaient qu’il considérait le conflit ukrainien comme une affaire européenne : « Ce n’est pas ma guerre », a-t-il répété. « Nous nous sommes empêtrés dans quelque chose où nous n’aurions jamais dû être entraînés. »[5] Par là, il s’est démarqué de la politique agressive envers la Russie menée par ses prédécesseurs, responsables du conflit ukrainien.

Il est peu probable, à ce stade, que les responsables politiques berlinois fassent preuve de la lucidité et du courage nécessaires pour saisir l’occasion qui leur est offerte de réorienter leur politique dans l’intérêt de l’Allemagne. En politique intérieure comme extérieure, les outrances s’enchaînent. Le ministre des Affaires étrangères Johann Wadephul soutient la demande de Trump de porter les dépenses militaires à 5 %, le chancelier Friedrich Merz enjoint les Allemands à travailler davantage et à se montrer plus modestes,[6] tandis que le ministre de la Défense Boris Pistorius souhaite rétablir le service militaire obligatoire. Dans le même temps, l’agitation et l’hostilité à l’égard de la Russie persistent, tant dans l’arène politique que dans les médias. Les principaux responsables politiques ont perdu tout sens de la mesure, et les médias, on le sait, se sont transformés en organes de propagande.

Les chars Leopard, dont le coût peut atteindre neuf millions d'euros, constituent « l'épine dorsale du corps blindé des forces armées allemandes ».

Dès son arrivée au pouvoir, Friedrich Merz s’est allié à Emmanuel Macron et à Keir Starmer pour empêcher la fin de la guerre en Ukraine, aussi absurde que cela puisse paraître. Ce sinistre triumvirat, rejoint à la mi-mai 2025 par le Premier ministre polonais Donald Tusk, manœuvre en coulisses avec les opposants de Trump au Congrès, dans les agences gouvernementales, au Département d’État, au Pentagone et dans diverses ONG, aux États-Unis comme à l’étranger (telles que l’USAID[7]), afin de tisser un réseau d’intrigues destiné à contrecarrer les plans de Trump. S’y ajoutent la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et de nombreux responsables politiques qui ont accédé aux postes de commandement grâce au parrainage des précédentes administrations américaines et de leurs organisations influentes. Ce groupe d’individus, qui a précipité l’Europe occidentale dans la ruine, est rejeté par une large majorité de leurs concitoyens.[8]

Pourtant, la résistance est presque inexistante. Dans la plupart des pays de l’UE, l’opposition est affaiblie par une rhétorique guerrière malveillante et par la criminalisation croissante des citoyens récalcitrants. En Allemagne, les procureurs, les tribunaux et une « task force contre la haine et l’incitation »[9] s’attaquent à tout ce qui peut être considéré comme une critique des responsables de la situation intenable actuelle. Tout récemment, le ministère fédéral de la Famille a même mis en place une ligne téléphonique d’assistance permettant de demander conseil en cas de « pensées indésirables », afin de « protéger notre société contre les dangers croissants du conspirationnisme ».[10] Dans le même temps, les responsables politiques qui appellent à une « préparation à la guerre » et dénoncent les « sympathisants de Poutine » ou les « désinformateurs » prétendument à la solde de la Russie encouragent la délation des critiques du gouvernement. Cela ne fait qu’aggraver une fracture déjà profonde au sein de la société.

Menace et espoir

« Quand je pense à l’Allemagne la nuit, le sommeil me fuit », écrivait Heinrich Heine en 1844, alors qu’il vivait en exil à Paris. Il n’était pas le seul à ressentir cela. De nombreux intellectuels, écrivains et artistes s’étaient alors enfuis, craignant pour leur vie. Nous n’en sommes pas encore là ; aujourd’hui, il existe d’autres moyens de détruire l’existence des gens, et ils sont bel et bien utilisés : diffamation publique, censure, perquisitions, licenciements et expulsions, gels de comptes bancaires, etc. Ceux qui refusent de se soumettre doivent être éliminés d’une manière ou d’une autre.

Pourtant, malgré tout, il faut noter que l’opposition extra-parlementaire en Allemagne, dont une partie des critiques se reflète dans les discours de Trump et Vance, a été renforcée depuis l’extérieur. Un certain nombre de personnes continuent à s’engager et refusent de se laisser intimider, alimentant ainsi une lueur d’espoir en des temps différents, peut-être meilleurs.

Pour les esprits conscients, une question se pose : comment mener une vie humaine et digne dans la société actuelle — pour autant qu’elle perdure ? Une chose est certaine : sans une réorientation et une réorganisation fondamentales du système économique et financier, aucune amélioration durable des conditions de vie n’est envisageable. Une économie fondée sur la croissance permanente, adossée à un système monétaire porteur d’intérêts et à des marchés financiers déconnectés de l’économie réelle, obéit à la logique d’une chaîne de Ponzi. Pour éviter l’effondrement prévisible, il ne reste que deux options : exproprier la population ou déclencher la guerre.

Telle est la situation actuelle, dans laquelle les représentants des intérêts du capital imposent des mesures toujours plus dures pour contrôler et soumettre la population. La plupart des pays d’Europe occidentale, y compris l’Allemagne, glissent depuis longtemps sur une pente menant au totalitarisme. Contrer cette évolution nécessiterait une société civile forte et consciente. C’est pourquoi l’éducation de la population en dehors des médias dominants doit être la préoccupation centrale de toutes les forces œuvrant pour la paix.

Les partenaires de la coalition (de gauche à droite) : Markus Söder, Friedrich Merz, Lars Klingbeil, Saskia Esken

Image de l'ennemi

En juin 2025, un manifeste a été publié par de grandes figures sociales-démocrates pour protester contre la politique étrangère et de sécurité du gouvernement allemand[11] — même si l’on n’est pas tenu d’adhérer à toutes leurs positions. On y retrouve notamment l’ancien président du groupe parlementaire Rolf Mützenich, le spécialiste des affaires étrangères Ralf Stegner, l’ancien président du parti Norbert Walter-Borjans, l’ex-ministre des Finances Hans Eichel, et bien d’autres. Tous appelaient à un revirement immédiat dans les relations avec la Russie et sur les questions de réarmement. Entre autres, ils s’opposaient aux coûts colossaux de la remilitarisation ainsi qu’au stationnement de nouveaux missiles américains à moyenne portée en Allemagne.

Le manifeste affirme : « En Allemagne et dans la plupart des pays européens, ce sont les forces qui misent avant tout sur une stratégie de confrontation militaire et sur des centaines de milliards d’euros d’armement qui l’ont emporté. » Mais, poursuit-il, « la rhétorique alarmiste et les gigantesques programmes de réarmement » n’apportent pas davantage de sécurité à l’Allemagne et à l’Europe, mais conduisent « à la déstabilisation et au renforcement de la perception mutuelle de menace entre l’OTAN et la Russie ». Il conclut qu’il est nécessaire d’instaurer un « ordre de paix et de sécurité pour l’Europe qui soit soutenu et respecté par tous ».

La résistance qui s’est immédiatement formée est significative, mais le manifeste des sociaux-démocrates pourrait bien être le signal d’un réexamen de la politique de paix.

L’écrivain et journaliste Dr. jur. Wolfgang Bittner vit à Göttingen. Il est l’auteur de plus de 80 ouvrages, parmi lesquels Der neue West-Ost-Konflikt. Inszenierung einer Krise (Le nouveau conflit Est-Ouest : mise en scène d’une crise, 2021), Deutschland – verraten und verkauft (L’Allemagne : trahie et vendue, 2021), State of Emergency: Geopolitical Insights and Analyses with Reference to the Ukraine Conflict (2023), ainsi que le roman Die Heimat, der Krieg und der Goldene Westen (2019). L’article ci-dessus est un extrait du livre Geopolitics at a Glance: Germany-USA-EU-Russia, qui vient de paraître aux éditions Hintergrund dans la collection WISSEN KOMPAKT.

Sources et notes

[1] See www.tagesschau.de/ausland/europa/groenland-daenemark-unabhaengigkeit-usa-trump-100.html. Meanwhile, US financial investor BlackRock is said to have taken control of the ports at both ends of the Panama Canal.

[2] See www.welthungerhilfe.de/aktuelles/gastbeitrag/2019/hintergrundanalyse-jemen-konflikt#:~:text=Im%20Jemen%20herrscht%20ein%20Bürgerkrieg,neun%20Jahren%20andauernden%20Konflikt%20eingefroren

[3] See www.tagesschau.de/wirtschaft/weltwirtschaft/usa-ukraine-abkommen-faq-102.html

[4] See https://rtde.org/international/237973-normalisierung-zwischen-washington-und-moskau/

[5] quoted after www.n-tv.de/politik/Trump-erklaert-europaeischen-Staatschefs-Putin-will-Krieg-nicht-beenden-article25786517.html

[6] See www.augsburger-allgemeine.de/politik/kommentar-merz-leistung-deutsche-sollten-mehr-arbeiten-109053224

[7] USAID, significantly reduced by Trump, finances questionable US projects worldwide, but also development aid measures. See https://globalbridge.ch/usaid-jetzt-im-blick-der-ganzen-welt/

[8] Take this from Macron, for example: https://de.statista.com/infografik/33628/zustimmungswerte-der-franzoesischen-premierminister-und-des-praesidenten/

[9] See https://initiative-toleranz-im-netz.de/

[10] https://www.bmfsfj.de/bmfsfj/aktuelles/alle-meldungen/-beratungskompass-verschwoerungsdenken-startet-256484#:~:text=Vertrauliche%20Beratung%20-%20bundesweit%20und%20vor,und%20-einschätzung%20des%20persönlichen%20Bedarfs

[11] www.erhard-eppler-kreis.de/manifest/

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