Après des siècles, les ambitions de superpuissance de la Pologne refont surface

Après des siècles, les ambitions de superpuissance de la Pologne refont surface

Aux yeux de trop nombreux Européens de l’Ouest, la Pologne était jusqu’à récemment considérée comme un pays pauvre et peu influent. Mais dans la guerre contre la Russie, il était inévitable que la Pologne joue un rôle de premier plan.
Stefano di Lorenzo
ven. 31 oct. 2025 895 3

Remarque préliminaire

Il y a quelques semaines, en septembre dernier, lorsque un groupe de drones présumés russes a violé l’espace aérien polonais, le Premier ministre Donald Tusk a qualifié cet incident de « moment le plus dangereux depuis la Seconde Guerre mondiale ». Cette déclaration pouvait sembler exagérément dramatique, mais elle reflète l’état d’urgence permanent dans lequel la Pologne vit depuis plusieurs années. Que la version officielle de l’incident soit crédible ou non, on ne peut ignorer la réalité sous-jacente : dans le conflit entre la Russie et l’Occident, la Pologne est devenue un État en première ligne. La guerre en Ukraine a déplacé le centre de gravité géopolitique de l’Europe vers l’est, et peu de pays ont été aussi profondément transformés par ce changement que la Pologne.

L’expansion de l’OTAN

Ce développement ne date pas de 2022. Depuis l’élargissement de l’OTAN en 1999 et 2004, la Pologne se considère comme un avant-poste de l’Occident à la frontière d’un Orient potentiellement hostile. L’expansion de l’alliance a apporté des garanties de sécurité formelles, mais a également placé la région au cœur de la compétition stratégique entre Washington et Moscou. L’obsession occidentale d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN — de manière formelle ou informelle — a longtemps été perçue à Varsovie comme une étape inévitable vers la « complétion » de l’Europe. Mais ce qui était censé garantir la sécurité de l’Ukraine a provoqué la Russie, un exemple classique du dilemme de sécurité. Pour la direction polonaise, cependant, la guerre n’a pas été interprétée comme un échec de la dissuasion, mais comme la confirmation de leurs avertissements anciens : la Russie, soutenaient-ils, n’avait jamais changé, et seule la force pouvait la contenir. D’autres peuvent voir les choses autrement : des propos récents de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel ont suggéré que la Pologne et les États baltes portaient une part de responsabilité dans la guerre en Ukraine en raison de leur position agressive et intransigeante. La réaction en Pologne a été, comme prévu, virulente : il est difficile de qualifier Merkel d’amie de la Russie, mais en Pologne, c’est exactement ce qu’ils ont fait.

"Vous avez oublié la Pologne"

Le rôle de la Pologne dans le conflit ukrainien s’est donc révélé crucial. Elle est devenue le principal hub logistique pour l’acheminement d’armes occidentales vers l’Ukraine, avec un flux incessant d’armements toujours plus sophistiqués transitant par son territoire. Les stratèges russes se voient désormais en guerre non seulement contre Kiev, mais contre l’OTAN tout entière, la Pologne agissant comme une tête de pont à la fois physique et symbolique. « Si l’on considère le cyberespace, la Pologne est maintenant en guerre avec la Russie », déclarait Sławomir Cenckiewicz, chef du Bureau de la sécurité nationale, dans une interview au Financial Times. « Ce n’est plus un simple État menacé. »

Jusqu’à récemment, les Européens de l’Ouest percevaient la Pologne comme une périphérie pauvre et post-communiste. Elle est aujourd’hui l’un des centres de pouvoir les plus ambitieux du continent. Ce repositionnement porte en lui un soupçon de « complexe impérial » — un sentiment de justification historique couplé à un zèle missionnaire. Contrairement à l’Allemagne ou à la France, le passé polonais n’est pas alourdi par la culpabilité coloniale ou les crimes de guerre. La narration polonaise s’appuie sur la victimisation et la résistance : une nation qui a lutté pour la liberté et en est désormais la gardienne. Tout au long de son histoire, la Pologne s’est souvent érigée en « Christ des nations », et aujourd’hui encore, l’histoire n’est pas une ombre à occulter : c’est une ressource morale utilisée comme arme.

Le destin de la Pologne a toujours été façonné par sa géographie. Située sur la plaine germano-nordique, sans montagnes ni mers pour se protéger des ennemis de l’est ou de l’ouest, la Pologne fut à la merci de ses voisins plus puissants pendant des siècles. Ses frontières ont bougé, disparu et réapparu, mais sa vulnérabilité stratégique n’a jamais disparu. « La géographie est le destin », dit le proverbe.

Le présent reflète d’anciennes traditions de la pensée stratégique polonaise. Des concepts comme « Intermarium » et « Prométhéisme » réapparaissent sous de nouvelles formes. Peu de gens en Europe occidentale connaissent ces idées fondamentales, qui ont façonné la politique étrangère polonaise par le passé et continuent de l’inspirer aujourd’hui.

La Pologne n’est pas encore perdue

Pour beaucoup en Europe occidentale et en Amérique, l’histoire semble être un souvenir lointain, un passé largement oublié, peu pertinent pour notre moment « post-historique ». En Pologne (comme dans une grande partie de l’Europe centrale et orientale), l’histoire n’est pas un simple décor : elle est soigneusement cultivée et mythifiée comme un instrument central de construction de l’identité nationale. La Pologne a disparu de la carte européenne pendant 123 ans (1795–1918) à la suite des trois partitions du Commonwealth polono-lituanien par la Russie, la Prusse et l’Autriche, et les quarante années de communisme jusqu’en 1989 sont désormais considérées comme une « occupation soviétique » et une perte de souveraineté. À peine remise de ce traumatisme, la Pologne est particulièrement sensible aux dangers de l’histoire.

La figure qui symbolise la restauration de l’État polonais après la Première Guerre mondiale est Józef Piłsudski, vénéré comme un véritable héros national. Né en 1867 dans la partie de la Pologne sous domination russe, il fut profondément impliqué dans les mouvements nationalistes et socialistes polonais. À la renaissance de la Pologne en 1918, Piłsudski assume des fonctions clés : chef de l’État (« Naczelnik Państwa ») et commandant en chef des forces armées. En 1920, il est nommé Marszałek Polski (Maréchal de Pologne), un titre reflétant son leadership militaire et son rôle central dans l’indépendance de son pays.

Peu après l’indépendance, en 1919, éclate la guerre polono-soviétique pour des territoires contestés. En Europe de l’Est, les frontières n’étaient pas définies par le traité de Versailles de mai 1919. L’Union soviétique venait d’être créée seize mois plus tôt et était en pleine guerre civile, tandis que la Pologne cherchait à sécuriser ses nouvelles frontières orientales. Une grande partie des combats eut lieu en Ukraine, que la Pologne revendiquait malgré l’avoir perdue trois siècles plus tôt. Piłsudski joua un rôle majeur, notamment lors de la bataille décisive de Varsovie (1920), surnommée parfois le « miracle de la Vistule », lorsque les troupes polonaises repoussèrent l’offensive soviétique.

En mai 1926, Piłsudski réalisa un coup d’État (le coup de mai), au cours duquel ses partisans renversèrent le gouvernement civil. Il ne prit pas le titre de président, mais exerça un contrôle autoritaire sur la Seconde République polonaise et dirigea la politique à travers un régime connu sous le nom de « Sanacja » jusqu’à sa mort en 1935.

Prométhée entre les mers

Le concept de Międzymorze (latin Intermarium, « entre les mers ») émerge après la Première Guerre mondiale comme une grande vision géopolitique de Piłsudski et de son cercle. Il propose une fédération, ou du moins une coopération étroite, entre les États d’Europe centrale et orientale, s’étendant de la mer Baltique à la mer Noire et potentiellement jusqu’à l’Adriatique — une renaissance moderne de l’esprit de l’ancien Commonwealth polono-lituanien. La logique stratégique est claire : coincée entre les puissances renaissantes d’Allemagne et de Russie, une alliance d’États fournirait sécurité mutuelle, influence politique et contrepoids régional aux ambitions des grandes puissances.

Cependant, le projet Międzymorze ne connaît jamais de mise en œuvre institutionnelle complète pendant l’entre-deux-guerres. L’opposition de plusieurs acteurs — Union soviétique, puissances occidentales sceptiques, et mouvements nationaux locaux craignant la domination polonaise — a sapé toute alliance viable. La Lituanie refusa de participer par crainte de l’hégémonie polonaise, tandis que l’Ukraine et la Biélorussie restaient ambivalentes ou hostiles, cherchant l’indépendance totale plutôt que la subordination à un bloc dirigé par la Pologne. La diversité interne de la région — différences de systèmes politiques, développement économique, alliances extérieures et conflits frontaliers — s’avéra trop grande. Avec la consolidation du pouvoir allemand et soviétique dans les années 1930, la fédération proposée perdit toute faisabilité et succomba finalement aux contraintes et divisions de l’époque.

Le prométhéisme constituait le second pilier central de la politique étrangère de Piłsudski durant l’entre-deux-guerres. L’objectif était d’affaiblir la Russie en soutenant les mouvements d’indépendance nationale des peuples non russes sous son contrôle. Ce projet comportait plusieurs dimensions : politique, culturelle, de renseignement et militaire. La Pologne soutint des gouvernements en exil (Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, certaines régions du Caucase et du Turkestan, etc.), finança des organisations secrètes ou semi-secrètes, et aida parfois à former des forces paramilitaires capables d’intervenir si l’autorité centrale à Moscou échouait. Cela inclut l’expérience dite de Volhynie, où la Pologne chercha à promouvoir la loyauté parmi les minorités ukrainiennes en tolérant leur langue et leur religion pour soutenir l’objectif prométhéen de saper le contrôle soviétique.

Le traité de Varsovie, signé en avril 1920 entre la Pologne et la République populaire ukrainienne sous Symon Petliura, exprime concrètement le prométhéisme en action : la Pologne reconnaît l’indépendance ukrainienne et fournit une aide militaire, tout cela dans le but de créer un État tampon ami à l’est plutôt que de laisser l’Union soviétique rétablir directement sa domination à la frontière polonaise. Piłsudski considérait la souveraineté ukrainienne non comme un enjeu moral, mais comme un facteur vital pour les intérêts polonais. On lui attribue la phrase : « Il ne peut y avoir de Pologne indépendante sans Ukraine indépendante. »

Les projets Intermarium et Prométhéisme ont été développés dans l’entre-deux-guerres et, bien qu’ils aient été trop ambitieux pour leur époque, leur logique demeure. Aujourd’hui, cela se manifeste dans la coopération de l’Initiative des Trois Mers, un projet d’infrastructures et d’énergie reliant l’Europe centrale et orientale, ainsi que dans les relations étroites de Varsovie avec les États baltes, la Roumanie et, bien sûr, l’Ukraine.

Des échos du prométhéisme se retrouvent dans la politique étrangère de la Pologne envers l’Ukraine, la Biélorussie et la Géorgie. La Pologne a fortement soutenu la nouvelle Ukraine anti-russe depuis la révolution de l’Euromaidan en 2014, et encore davantage depuis le début de la dernière phase de la guerre en 2022. Pour la Biélorussie, la Pologne a appuyé des mouvements d’opposition s’opposant au gouvernement actuel du président Alexandre Loukachenko. Les relations avec la Géorgie incluent coopération et soutien à son « indépendance » et à son intégration euro-atlantique. Ces actions ne sont pas motivées par l’altruisme, mais par des calculs stratégiques : la sécurité polonaise dépend de la survie d’États indépendants et anti-russes à l’est. En les soutenant, la Pologne contribue à maintenir un tampon contre la Russie.

La mémoire des Kresy — les provinces orientales de l’ancien Commonwealth polono-lituanien — continue de résonner en politique polonaise. Ces territoires, aujourd’hui en Ukraine, Biélorussie et Lituanie, furent autrefois considérés comme le cœur de la mission civilisatrice polonaise, l’avant-garde du christianisme latin face à l’orthodoxie et aux steppes. Ils furent le théâtre de tragédies, de déportations et de conflits sanglants. Si la Pologne actuelle ne cherche pas à réviser les frontières, ses liens culturels et historiques avec les Kresy façonnent sa sensibilité à l’Est.

Avec des relations avec la Russie désormais apparemment irréparables et vouées à le rester longtemps, l’objectif stratégique de la Pologne semble être d’établir un nouveau rideau de fer plus à l’est, isolant ses voisins de la Russie afin de couper complètement la Russie de l’Europe. La Pologne fut, par exemple, l’un des plus ardents opposants au gazoduc Nord Stream, destiné à acheminer le gaz russe directement vers l’Allemagne, en contournant la Pologne.

La Pologne et l’Occident

Les relations polono-allemandes illustrent également le paradoxe de la géographie. La Pologne ne peut échapper à l’influence économique de l’Allemagne. Ses exportations se dirigent vers l’ouest, tandis que ses préoccupations en matière de sécurité se tournent vers l’est. L’économie polonaise prospère au sein du marché unique européen, mais la politique de sécurité polonaise s’est souvent heurtée à l’approche plus prudente et orientée économiquement de Berlin. L’Allemagne considérait autrefois la Russie comme un problème, mais aussi comme un partenaire énergétique potentiel ; la Pologne, en revanche, a toujours perçu la Russie comme une menace existentielle. Cette divergence est structurelle et explique pourquoi la Pologne pousse l’OTAN et les États-Unis à un engagement plus profond sur son flanc oriental.

Pour la Pologne, l’Initiative des Trois Mers constitue un cadre géopolitique pour ses ambitions de leadership régional. Varsovie la présente comme un projet de cohésion européenne, mais elle sert également de plateforme pour démontrer son indépendance vis-à-vis de Berlin et de Bruxelles. Le partenariat étroit avec les États-Unis est crucial : Washington le soutient fortement pour consolider l’influence américaine en Europe centrale et orientale tout en affaiblissant la domination franco-allemande dans la politique européenne. La Pologne agit ainsi comme un maillon permettant de projeter le pouvoir américain au cœur du continent — un rôle qui renforce à la fois son image de soi et sa dépendance au soutien américain.

Cette « relation spéciale » entre la Pologne et les États-Unis est aujourd’hui un des faits marquants de la géopolitique européenne. Elle transcende les partis politiques dans les deux pays. Des soldats américains sont stationnés en permanence sur le sol polonais ; les armes américaines équipent l’armée polonaise ; la coopération en matière de renseignement et de cybersécurité est plus étroite que jamais. La modernisation de la défense polonaise est essentiellement un programme conçu par les États-Unis et financé par les contribuables polonais. L’alliance est non seulement stratégique mais aussi idéologique. La Pologne voit les États-Unis comme l’incarnation de la liberté et de la force, tandis que beaucoup d’Américains considèrent la Pologne comme l’allié le plus loyal d’Europe, intact de la décadence et l’ambiguïté de l’ancien Occident.

Pour Washington, ce partenariat offre une alternative fiable aux grandes puissances hésitantes d’Europe occidentale. Alors que Berlin débat et Paris théorise, Varsovie agit. La volonté de la Pologne d’affronter directement la Russie — politiquement, militairement et rhétoriquement — s’aligne sur la stratégie américaine de containment. Sous la première présidence de Trump, cette relation prit presque une dimension personnelle : lors de son premier voyage à l’étranger en 2017, Trump visita Varsovie pour prononcer l’un de ses discours les plus idéologiques, louant le patriotisme polonais et la civilisation chrétienne comme modèle de résilience occidentale. Sous Biden, cette alliance a été mise à l’épreuve : Varsovie est devenue un centre névralgique de la stratégie occidentale en Ukraine. Toute décision politique majeure sur le soutien à Kiev y trouve un relais, et la quasi-totalité des livraisons d’armes occidentales transitent par son territoire.

Mais cette proximité a aussi un coût. En assumant le rôle de « porte-avions insubmersible » de l’Amérique, la Pologne a perdu une partie de son autonomie en politique étrangère. Les conflits précédents avec l’UE — sur les réformes judiciaires, la migration et l’État de droit — ont affaibli son influence en Europe, même si elle est devenue plus forte militairement. Le paradoxe est frappant : la Pologne veut diriger l’Europe, mais se méfie du projet européen. Plus elle s’intègre aux États-Unis, moins elle s’insère dans la logique de Bruxelles. Le gouvernement polonais accuse souvent l’Allemagne de lâcheté morale et de naïveté stratégique, mais sa propre stratégie dépend d’une puissance externe.

« Make Poland Great Again »

La charge de la défense polonaise a atteint un niveau sans précédent en Europe en temps de paix. En 2024, les dépenses militaires polonaises ont atteint environ 38 milliards de dollars (~4,2 % du PIB), et le gouvernement prévoyait des augmentations supplémentaires, avec des objectifs officiels et des déclarations publiques de ~4,7 % du PIB en 2025 et des discussions politiques sur 5 % d’ici 2026. Cela fait de la Pologne l’un des membres de l’OTAN avec la part la plus élevée de dépenses militaires par rapport au PIB et soutient un programme d’acquisition et de renforcement des forces exceptionnellement vaste et rapide.

La force de personnel est massivement renforcée. Les comptages officiels et indépendants estiment le personnel actif à environ 200 000–206 000, avec pour objectif d’étendre l’armée professionnelle et les réserves afin d’augmenter significativement la force totale disponible (les plans prévoient finalement une mobilisation d’environ 300 000 une fois les systèmes de réserves et de volontaires pleinement établis). Pour gérer cette expansion, Varsovie a annoncé un ambitieux programme de formation citoyenne — à partir de 2027, 100 000 volontaires recevront une formation militaire chaque année, et des milliers se sont déjà inscrits pour une formation volontaire en 2025.

La Pologne a acquis et reçoit de grandes unités modernes de chars et d’artillerie. Varsovie a reçu 116 chars M1A1 « FEP » Abrams modernisés des États-Unis (livrés en 2024) et a passé une importante commande de 250 nouveaux M1A2 SEPv3 Abrams (livrés en 2025), ce qui portera à environ 366 le nombre de chars Abrams exploités une fois le programme achevé. Parallèlement, des systèmes sud-coréens sont livrés dans le cadre d’un autre programme — K2 « Black Panther » MBT (dans le cadre d’un accord de 180 chars) et de grandes quantités d’obusiers automoteurs K9 de 155 mm ainsi que des systèmes de missiles associés. Ces achats transforment la Pologne en l’un des pays les mieux blindés et armés modernement d’Europe.

La modernisation de l’armée de l’air constitue un autre pilier. Le programme Husarz prévoit 32 appareils F-35A (contrat signé en 2020), avec livraisons nationales à partir de 2026 ; la formation des pilotes est déjà en cours. Parallèlement, l’armée de l’air polonaise modernise ses flottes existantes (grands programmes de modernisation des F-16) pour combler les capacités jusqu’au déploiement des F-35. Ces mesures offrent à Varsovie une capacité crédible à déployer des avions furtifs limités et une supériorité aérienne interconnectée dans les années à venir, en complément des armes et capteurs occidentaux à longue portée.

La défense aérienne et antimissile est fortement renforcée. La Pologne a longtemps investi dans des batteries Patriot (production nationale et unités de lancement contractualisées), intégré les déploiements alliés Patriot et d’autres systèmes, et acquis plusieurs systèmes complémentaires. Les partenaires de l’OTAN ont également fourni des systèmes Patriot / Ground-Based Air Defense et déployé des batteries alliées.

Cette réarmement massif ne se limite pas à une réaction à la guerre en Ukraine. Les leçons de 1939 — lorsque les garanties occidentales n’ont pas empêché la catastrophe — sont profondément ancrées dans la conscience nationale. La transformation militaire de la Pologne a des conséquences géopolitiques immédiates.

La Pologne ne se considère pas seulement comme un tampon. Elle façonne activement les stratégies, pousse à un soutien accru pour l’Ukraine, réclame des mesures plus strictes contre la Russie et met en garde contre la fatigue occidentale. Mais le programme d’armement est coûteux et politiquement risqué — dépenser 4 à 5 % du PIB en défense pendant plusieurs années exige soit une croissance continue, soit des décisions budgétaires douloureuses.

Ce qui distingue la Pologne aujourd’hui, c’est qu’elle ne veut pas seulement se défendre ; elle veut participer à la définition de la stratégie européenne. Elle exhorte ses alliés à maintenir une « patience stratégique » jusqu’à la défaite complète de la Russie. Le ton est moral et militant, animé par la conviction que l’histoire teste à nouveau la volonté de l’Europe.

Cette conscience historique distingue la Pologne de l’Europe occidentale, où la guerre est depuis longtemps considérée comme un anachronisme. À Varsovie, l’histoire n’est pas un fardeau dont on cherche à s’échapper, mais une source de légitimité. La mémoire des partitions, des soulèvements et des décennies de domination soviétique a créé un ethos collectif de vigilance. L’hymne national polonais commence par les mots : « La Pologne n’est pas encore perdue » — une phrase qui exprime à la fois peur et défi. La survie nationale n’est pas acquise ; elle doit être continuellement affirmée par la force.

En même temps, le nationalisme romantique qui inspira autrefois la résistance alimente désormais une forme de messianisme géopolitique. La Pologne se voit non seulement comme victime, mais comme sauveur de l’Europe — une nation destinée à protéger les autres de leurs illusions. Dans cette vision, l’Allemagne est faible, la France décadente, l’UE bureaucratique, et seule la Pologne comprend la clarté morale du moment. Cette perception de soi confère à sa politique étrangère un ton de droiture, mais aussi d’impatience. Les remarques de Merkel contenaient une vérité profonde : le nouveau pouvoir de la Pologne ne résulte pas du consensus, mais de la confrontation.

Si Churchill avait autrefois moqué la Pologne de l’entre-deux-guerres comme la « hyène de l’Europe », accusée d’opportunisme et d’expansionnisme, la Pologne moderne aspire à être le lion de l’Europe — courageuse, disciplinée et indispensable. Mais la frontière entre héroïsme et orgueil est mince. L’insistance polonaise sur l’escalade permanente en Ukraine risque d’épuiser les populations occidentales et de provoquer des divisions au sein de l’OTAN.

Pourtant, la logique du cap suivi aujourd’hui par la Pologne est implacable. Ses dirigeants sont convaincus que la sécurité de l’Europe repose sur la dissuasion par la force, et que la faiblesse ne peut qu’attirer la catastrophe. Son vaste programme de réarmement, son zèle idéologique et son alliance étroite avec les États-Unis traduisent une conviction historique : seule la puissance garantit la survie. Ce n’est peut-être pas la stratégie la plus sage.

 

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