Belliqueuse et risquée : la politique de Takaichi, les États-Unis et l’avenir du Japon
Sanae Takaichi

Belliqueuse et risquée : la politique de Takaichi, les États-Unis et l’avenir du Japon

Avec Sanae Takaichi en tant que première femme Premier ministre du Japon, le pays s’oriente vers une politique étrangère nettement plus belliciste. Le renforcement des capacités militaires et une collaboration plus étroite avec les États-Unis pourraient accroître les tensions en Asie de l’Est et menacer sérieusement la stabilité économique du Japon.
mer. 05 nov. 2025 553 0

De la Constitution pacifiste au réarmement agressif

La constitution d’après-guerre du Japon de 1947 – dite Constitution pacifiste – stipule dans son article 9 :

« Les forces terrestres, maritimes et aériennes, ainsi que tout autre potentiel militaire, ne seront jamais maintenues. »

Malgré ce principe, le Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir a élu Takaichi comme dirigeante, faisant d’elle la première femme Premier ministre du pays. Connue pour sa position ferme vis-à-vis de la Chine et de Taïwan, elle s’éloigne progressivement de la tradition pacifiste d’après-guerre du Japon et prône des capacités militaires plus offensives.

L’intégration stratégique du Japon dans l’ordre américain

Depuis l’occupation américaine en 1945, le Japon est de facto un État vassal des États-Unis. Takaichi réaffirme fermement ce statut et collabore étroitement avec d’autres « alliés » américains tels que la Corée du Sud, les Philippines et l’Australie pour construire une alliance militaire contre la Chine.

Elle a également manifesté sa volonté d’intégrer l’Inde dans ce cadre à l’initiative de Washington, mobilisant ainsi un autre adversaire potentiel pour « contenir la Chine ».

Taïwan comme enjeu de sécurité – et risque

D’un côté, Takaichi insiste sur le dialogue pacifique et respecte la politique d’une seule Chine, selon laquelle Taïwan est reconnu comme territoire chinois. De l’autre, elle affirme à plusieurs reprises qu’une crise à Taïwan pourrait menacer directement la sécurité du Japon – justifiant potentiellement l’usage des Forces d’autodéfense japonaises dans le cadre de la défense collective.

Elle cherche une collaboration étroite avec les États-Unis pour toute éventualité à Taïwan et a affirmé qu’un blocus chinois de l’île pourrait constituer une menace existentielle pour le Japon – une position largement considérée comme exagérée et révélatrice de sa rhétorique belliqueuse.

En même temps, elle ne ferme pas complètement la porte au dialogue :

"Les directions du Japon et de la Chine continueront de maintenir un dialogue ouvert et de promouvoir de manière exhaustive une “relation stratégiquement mutuellement bénéfique” basée sur des intérêts stratégiques partagés."

Interdépendance économique et dépendance géopolitique

La Chine est le principal partenaire commercial du Japon, représentant environ un quart de tout le commerce extérieur. De nombreuses industries japonaises dépendent fortement des chaînes d’approvisionnement chinoises, notamment pour l’électronique, les terres rares et les biens intermédiaires. La Chine pourrait réduire son commerce avec le Japon beaucoup plus rapidement que le Japon ne pourrait s’ajuster, sans subir de dommages majeurs.

Une rupture des relations économiques avec la Chine serait donc non seulement coûteuse, mais pourrait potentiellement menacer la base industrielle du Japon.

Le cadre asiatique en danger

Sous le court mandat du Premier ministre Fumio Kishida, prédécesseur de Sanae Takaichi, un cadre trilatéral liant le yen, le won et le yuan avait été envisagé pour réduire la dépendance du Japon au dollar américain et renforcer la résilience face aux crises – initiative mal vue à Washington.

Sous Takaichi, qui insiste sur un alignement étroit avec la politique américaine, cette initiative risque désormais d’être complètement abandonnée – un signe de l’autonomie économique limitée du Japon.

À la place, le Japon devrait mettre en œuvre le controversé Memorandum of Understanding (MOU), signé le 5 septembre 2025 sous forte pression américaine, engageant le pays à des obligations totalisant 550 milliards de dollars. L’accord permet à Washington de déterminer les projets d’investissement dans un cadre dirigé par les États-Unis et inclut une « clause boomerang » menaçant des droits punitifs élevés si le Japon ne respecte pas ses engagements.

L’Accord du Plaza : leçon de souveraineté perdue

Un exemple frappant de la souveraineté économique limitée du Japon est l’Accord du Plaza de 1985, lorsque les États-Unis ont agi stratégiquement pour freiner la domination économique japonaise. L’appréciation du yen qui en a résulté a détruit les avantages à l’exportation du Japon, déclenché une bulle spéculative et inauguré la « décennie perdue » – une période de stagnation des salaires, de déflation et d’engourdissement économique.

Instabilité politique comme constante

Entre 2010 et 2025, le Japon a eu environ dix Premiers ministres – signe clair d’une instabilité politique chronique. Sous Takaichi, le pays est à nouveau fortement influencé de l’extérieur, façonnant la politique nationale en faveur des intérêts américains. Sa politique belliciste apparaît difficilement soutenable, rendant probable un nouveau changement de gouvernement dans un avenir proche.

Conclusion : le dilemme du Japon entre loyauté coûteuse à l’alliance et autodétermination

L’expérience du Japon montre comment la pression extérieure, la souveraineté limitée, la dépendance économique et l’instabilité politique se combinent pour créer une stagnation à long terme. Tant que ces facteurs structurels perdureront, le Japon restera prisonnier d’un cycle de politique réactive et de potentiel inexploité.


Citations originales de la Première ministre Sanae Takaichi

  • 「我が国周辺では、いずれも隣国である、中国、北朝鮮、ロシアの軍事的動向等が深刻な懸念となっています。」
    « Il existe de sérieuses préoccupations concernant les développements militaires de nos pays voisins : la Chine, la Corée du Nord et la Russie. »

  • 「日米同盟は日本の外交・安全保障政策の基軸です。日米両国が直面する課題に対し、しっかりと連携し、日米同盟の抑止力・対処力を高めていきます。」
    « L’alliance Japon–États-Unis est la pierre angulaire de la politique étrangère et de sécurité du Japon. Nous travaillerons en étroite collaboration pour relever les défis auxquels nos deux pays sont confrontés et pour renforcer les capacités de dissuasion et d’action de cette alliance. »

  • 「中国は、日本にとって重要な隣国であり、建設的かつ安定的な関係を構築していく必要があります。他方、日中間には、経済安全保障を含む安全保障上の懸念事項が存在することも事実です。日中首脳同士で率直に対話を重ね、『戦略的互恵関係』を包括的に推進していきます。」
    « La Chine est un voisin important pour le Japon, et il est nécessaire de construire une relation constructive et stable avec elle. En même temps, il est également vrai que des préoccupations en matière de sécurité existent entre le Japon et la Chine, notamment sur la sécurité économique. Les dirigeants japonais et chinois continueront de maintenir un dialogue ouvert et de promouvoir de manière globale une “relation mutuellement bénéfique basée sur des intérêts stratégiques partagés.” »

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